OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Internet russe : vrai filtrage, fausse liberté http://owni.fr/2011/05/12/internet-russe-vrai-filtrage-fausse-liberte/ http://owni.fr/2011/05/12/internet-russe-vrai-filtrage-fausse-liberte/#comments Thu, 12 May 2011 11:23:27 +0000 Marina Livinovitch (trad. Noele Belluard-Blondel) http://owni.fr/?p=62359 Le 18 avril 2011, l’organisation américaine à but non lucratif Freedom House a publié un rapport sur la liberté d’Internet dans le monde. Le rapport “Freedom on the Net 2011” (Liberté du Net 2011) analyse la liberté d’accès à Internet en 2009-2010 dans 37 pays [en anglais comme tous les liens, sauf mention contraire].

Dans le rapport (rédigé par Alexey Sidorenko de Global Voices et rédacteur en chef de RuNet Echo), la Russie est classée parmi les pays qui n’ont qu’une « liberté partielle » d’accès à Internet. Comparée au précédent rapport de l’organisation, publié en 2009, la position de la Russie dans les classements a chuté.

Parmi les voisins de la Russie sur la liste des pays « partiellement libres » se trouvent le Rwanda, le Zimbabwe et l’Égypte. Parmi les républiques de l’ancienne URSS, les experts de Freedom House ont identifié comme pays « partiellement libres », en plus de la Russie, la Georgie, l’Azerbaïjan et le Kazakhstan. La Biélorussie apparaît sur la liste des « pays non libres » tandis que l’Estonie se trouve sur la liste des « pays libres » – en fait, l’Estonie est dans les classements en tête de tous les pays mentionnés dans le rapport. Les autres anciens voisins soviétiques de la Russie sont absents des classements.

À la traîne sur la liste de Freedom House se trouvent Cuba, la Birmanie et l’Iran, où les experts ont enregistré la pire situation quant à la liberté d’Internet.

On ne peut discuter des faits listés dans le rapport relativement à la Russie. Des questions surgissent tout de même sur leurs analyses et leur interprétation.

Première question importante : Quels aspects de ce classement émanent vraiment des autorités ou des structures étatiques ? Quelle est la part exacte des autorités russes dans l’« absence de liberté d’Internet ». Après tout, il est communément accepté que la restriction de liberté est envisagée en fonction de son utilité aux politiques des autorités et au fonctionnement de la législation.

Si nous regardons soigneusement la liste, nous pouvons voir deux types évidents d’actions émanant des structures étatiques :

“Des E-Centres” pour poursuivre les extrémistes

1. Les activités des agences d’application de la loi et des unités de lutte contre l’extrémisme (dénommées les “E-Centres”), lesquelles en fait ciblent les poursuites contre les blogueurs (mais pas seulement) ayant exprimé leurs opinions sur Internet. Très souvent, des procès sont faits d’après l’Article 282 du Code Pénal ; en particulier d’après la Partie 1, laquelle inclut des amendes pour :

les activités qui sont menées de manière publique ou via les médias et visent à l’incitation à la haine ou à l’hostilité ou au dénigrement d’une personne ou d’un groupe de personnes pour des raisons de sexe, de race, de nationalité, de langue, d’origine, de tendances religieuses ou d’appartenance à un groupe social particulier.

L’auteur de cet article a expliqué plus d’une fois comment ce mécanisme fonctionne. Les E-Centres sont des unités opérationnelles du Ministère des Affaires intérieures (MIA) dans chaque région russe. Ils exercent les fonctions du MIA dans le domaine du contre-extrémisme. Ces unités ont un plan directif pour la lutte contre l’extrémisme : un certain nombre de citoyens doivent être pendant une période de temps donné tenus responsables de l’activité extrémiste.

Où les E-Centres cherchent-ils des extrémistes ? Repérer ceux qui sont en train d’ourdir « la formation d’organisations extrémistes » ou toute autre sorte d’activités extrémistes est difficile : parce que vous avez besoin d’informateurs pour mener une surveillance de qualité sur une longue période et pour collecter informations et preuves. C’est difficile. Il est plus facile de trouver des « extrémistes » sur Internet tout en étant assis devant un ordinateur dans son bureau, en lisant des blogs et des forums et en cherchant les opinions acerbes et critiques émises par certains sur les autorités, un groupe social, etc…

C’est un travail peinard : on trouve une déclaration et, si l’auteur est quelque peu identifié, on s’oriente vers le fournisseur d’accès Internet pour découvrir de quel ordinateur le message a été envoyé. Et c’est tout. Un extrémiste est extirpé, la tâche est exécutée, la question close, les patrons contents, un rapport sur « la lutte contre l’extrémisme » est envoyé à Moscou, et la note de ses fantassins continue d’être payée sur le budget de l’État.

Voilà précisément pourquoi la cyber-communauté russe et les militants des Droits de l’Homme doivent se battre pour l’abolition de l’Article 282 du Code Pénal de la Fédération russe. Comme le démontrent les pratiques relatives à l’application de la loi, n’importe qui peut tomber dans la catégorie des « extrémistes » : les blogueurs, les utilisateurs d’Internet, les écrivains, les militants associatifs, les personnalités religieuses, qui vous voulez, pourvu que cela justifie l’existence des E-Centres, lesquels, d’ailleurs, étaient auparavant les « Unités de lutte contre le crime organisé » et ont conservé leurs habitudes d’organiser des réunions sur les quotas. Il est aussi nécessaire, pense l’auteur, que les Centres de Lutte contre l’Extrémisme ferment, puisqu’ils sont impliqués dans des activités qui vont au-delà de leurs attributions : en réalité, ils poursuivent la libre expression des opinions, qu’elles soient politiques ou religieuses.

En ce qui concerne la poursuite des blogueurs, la vraie raison derrière cela n’est souvent pas la déclaration d’une personne donnée sur un blog ou sur Internet, mais bien plutôt ses autres activités (sociales, politiques ou commerciales). L’expression d’une opinion sur Internet sert seulement de prétexte commode à l’amorce de pressions ou de poursuites.

Bloquer les ressources Internet

2. La deuxième action qui émane de l’État et dirigée « contre Internet » implique le système judiciaire, lequel, à l’instigation du bureau du procureur public, peut décider de bloquer les ressources Internet. Et en effet, le tribunal de la ville de Komsomolsk-na-Amur a pris la décision judiciaire complètement illogique de fermer l’accès des utilisateurs à YouTube au motif que le site abritait de prétendus contenus extrémistes. Plus tard, la Cour d’appel a fait annuler cette décision, ayant identifié les pages précises sur le site pour lesquelles l’accès devait être bloqué par les fournisseurs d’accès Internet. Le cyber-militant russe bien connu, Anton Nosik, a ensuite écrit sur son blog [en russe] :

Le verdict du tribunal de par son niveau primaire est typique de toutes les procédures judiciaires du pays relativement à Internet. « Ces incidents ne sont », d’après Nosik, « en somme, qu’un amusant épisode judiciaire lequel n’a pas de conséquence concrète pour des dizaines de millions d’utilisateurs d’ Internet en Russie.»

Le nombre des décisions prises par ignorance par les tribunaux russes est bien connu de tous, et cela ne concerne pas qu’Internet. C’est un domaine que la majorités des juges et des procureurs ne comprennent pas ; ils ont tendance à confondre les sites entretenus par leurs propriétaires avec les services ou les sites fondés sur un contenu généré par les utilisateurs.

Cette ignorance concernant les réalités d’Internet, toutefois, n’est pas spécifique aux seuls juges et procureurs en exercice. Il n’y a pas longtemps, un homme d’affaires a demandé à un ami qui était le « rédacteur en chef de Twitter » et s’il était possible de le rencontrer. L’ignorance générale des gens quant aux réalités d’Internet conduit à de tels épisodes.

La conclusion ici est simple : un mouvement qui concentrerait ses efforts afin que cette lacune en terme de connaissances soit palliée est requis, et ce, afin que les décisions relatives à la « fermeture de YouTube » provoquent non seulement l’indignation des utilisateurs mais aussi le rire franc de la cyber-communauté ne croyant pas qu’une réelle fermeture de YouTube pourrait survenir.

Un contrôle non traçable

Quant aux faits restants contenus dans le rapport de Freedom House , ils ne témoignent d’aucune relation quelconque avec l’ État ou les actions des autorités – pas même indirectement. On ne peut établir de lien entre les attaques DDoS (par déni de service distribué) – lesquelles ont ces derniers temps menacé LiveJournal.com et le site Novaya Gazeta – et l’Etat [en français] car elles peuvent résulter soit d’ordres commerciaux soit des activités illégales de certains individus. Idem pour le piratage de certains sites par cette « satanée Brigade ».

L’activité dans blogosphère par les “organisations de jeunesse pro-Kremlin” est un fait plus positif que négatif, reflétant une réelle liberté d’expression des forces politiques de tous bords. Il y a preuve d’une activité tant libérale que nationaliste dans la blogosphère : on y voit les partisans et les opposants de Poutine, ceux de Staline, ceux de Khodorkovsky.

Les moyens de mener les discussions ne sont pas toujours bons il faut l’avouer : attaques de trolls, spams et attaques personnelles. Mais on peut déposer plainte contre n’importe qui, pas seulement contre les « forces pro-Kremlin ». Le fait est qu’en fonction du sujet, des groupes divers se mobilisent de manière différente, de sorte que dans certaines discussions (en effet, celles se rapportant à des sujets tels que Staline, Eltsine, Khodorkovsky, l’Eglise russe orthodoxe et bien d’autres) les groupes mieux mobilisés y participent avec une plus grande agressivité et un plus grand acharnement.

Bien sûr, l’achat de services et de sites qui marchent par des hommes d’affaires proches du Kremlin peut, jusqu’à un certain point, être mis sur le compte de l’« influence étatique. » Mais il me semble qu’ en ces cas précis, nous avons affaire au souhait ordinaire en affaires de la part de ces derniers d’acquérir une entreprise commercialement prospère.

De plus, il est difficile de citer un exemple de propriétaires qui auraient influencé la ligne éditoriale de Lenta.ru ou la politique «éditoriale» de LiveJournal. Les blogs sur LiveJournal sont complètement libres, et lorsque récemment le site a été fermé [en français], cela pouvait être imputable à une attaque DDoS mais aussi à des problèmes techniques non résolus par le service lui-même. Un autre facteur important est une déclaration du Président Medvedev, lequel a attiré l’attention sur les attaques menées contre le service d’hébergement d’un blog connu et les a condamnées. Un président venant à la défense d’un service d’hébergement d’un blog connu est sans précédent ailleurs.

Il est encore utile de rappeler que la position ferme du Kremlin quant à l’initiative du Service de Sécurité fédéral (FSB) d’interdire l’accès à Skype, à Gmail et à Hotmail, au sujet de laquelle j’ai d’ailleurs écrit un précédent article. La vérité est qu’une autre initiative encore du gouvernement russe est apparue quelques jours plus tard: une appel à mener des recherches sur l’expérience étrangère quant à la réglementation de la responsabilité des réseaux Internet. Les recherches devraient analyser la législation des États-Unis, de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni et du Canada tout autant que celle de la Chine, de la Biélorussie et du Kazakhstan où, comme nous le savons, Internet est bloqué.

Dans l’ensemble, la conclusion de l’auteur quant à la situation d’Internet en Russie, telle qu’elle est décrite dans le rapport “Freedom on the Net 2011/Liberté du Net 2011″ est la suivante: oui, la Russie peut être incluse parmi ces pays ayant un accès Internet «partiellement libre». Dans le même temps, ce manque particulier de liberté n’est pas dû à des politiques délibérées des autorités fédérales. Les autorités ne cherchent pas, du moins présentement, à limiter la liberté d’Internet, et la position de Medvedev sur cette question est assez claire. Seuls l’ Article 282 du Code pénal et les activités des « Centres de lutte contre l’extrémisme » soulèvent une réelle inquiétude.

En dépit de cela, non seulement les utilisateurs d’Internet mais aussi les défenseurs des Droits de l’Homme, les militants politiques, les historiens, les personnalités religieuses et autres « fauteurs de troubles » souffrent de cette situation. Internet n’est ici qu’un prétexte d’accusation. Les juges et les procureurs ignorants sont aussi un problème – non seulement quant à Internet mais parfois quant à la législation en général, une législation qu’eux-mêmes ne comprennent pas ou interprètent très mal. Un autre vrai problème encore que nous rencontrons en Russie c’est la fait que nous ayons affaire à une multitude d’acteurs qui peuvent se livrer à des violences contre les blogueurs et les militants. Cette multitude peut sembler être un instrument intégré de l’État autoritaire mais, si nous y regardons de plus près, elle se révèle être un vecteur résultant des actions de divers agents de sécurité, de bureaucrates et de malfrats.

En conséquence, pour « libérer » Internet et faire remonter la Russie dans les classements de Freedom House, la communauté russe doit s’intéresser à l’Article 282 et entamer une campagne pour qu’il soit abrogé. La cyber-communauté russe en a assurément le pouvoir.

Ce billet est publié par RuNet Echo, un projet de Global Voices destiné à mieux faire connaitre le Web russe en le traduisant. Publié sur Global Voices France.

Ecrit par Marina Litvinovich · Traduit par Noele Belluard-Blondel

Illustration Flickr CC Umberto Lopez et M3Li55@

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A Cuba, on rationne aussi l’Internet http://owni.fr/2011/03/03/internet-cuba-castro-rationnement/ http://owni.fr/2011/03/03/internet-cuba-castro-rationnement/#comments Thu, 03 Mar 2011 14:00:28 +0000 Ellery Biddle http://owni.fr/?p=49577 Titre original : Digital Rations: Internet Policy in Castro’s Cuba

Tous les liens inclus dans cet article sont en anglais ou en espagnol.

La communication a renforcé le pouvoir de Fidel Castro depuis un demi-siècle de règne sur Cuba. On l’avait d’ailleurs très bien vu lorsque le leader cubain de 82 ans est réapparu en public pour la première fois après le transfert de pouvoir à son frère en 2006. Castro avait donné une conférence de presse télévisée auprès des médias cubains et internationaux, ainsi qu’une interview exclusive accordée à Carmen Lira Saade, éditrice du célèbre journal de Mexico La Jornada. Dans cette interview, Castro évoquait la sécurité internationale, son état de santé, mais surtout l’enjeu le plus pressant pour le gouvernement cubain : Internet.

Internet a donné la possibilité de communiquer avec le monde entier. Nous n’avions jamais connu cela auparavant. (…) Nous faisons face à la plus puissante arme qui n’ait jamais existé… Le pouvoir de la communication a été, et est encore, entre les mains de l’empire et de l’ambition de groupes privés qui en usent et en abusent… Même s’ils ont essayé de conserver leur pouvoir intact, ils n’ont pas pu. Ils le perdent jour après jour, au fur et à mesure que d’autres voix émergent.

Castro a également déclaré qu’il admirait les médias alternatifs d’Amérique Latine qui militent pour la transparence des gouvernements, et qu’il était fasciné par le pouvoir que WikiLeaks a commencé à exercer sur le gouvernement américain. Lira n’a pas osé demandé ce qu’il se passerait si une organisation similaire à WikiLeaks apparaissait à Cuba. À la place, ils ont discuté du défi auquel Cuba faisait face pour obtenir l’accès à Internet (en partie à cause de l’embargo des États-Unis) et du système mis en place par le gouvernement cubain pour fournir un accès internet au grand public. La liberté de la presse et de la circulation de l’information est resté le grand absent de la conversation.

Reporters Sans Frontières et Freedom House ont qualifié Cuba d’« ennemi d’Internet », tout comme la Chine, l’Iran, la Syrie, et la Birmanie. Mais alors que les gouvernements de ces pays sont connus pour censurer certains types de contenus, il n’y aucune preuve que le gouvernement cubain bloque plus qu’une poignée de sites web sur l’île (dont le blog de la célèbre Yoani Sánchez). Si vous parvenez à vous connecter depuis Cuba, vous pourrez visiter pratiquement tous les sites que vous voudrez. Mais la plupart des gens n’arrive même pas jusque là. La bande passante de Cuba est misérablement faible, ses infrastructures de télécommunications sont pauvres, et l’accès à internet des citoyens est hautement régulée par l’État.

Cliquez sur l’image pour accéder à l’infographie

Rationnement du numérique

L’Union Internationale des Télécommunications rapporte que le taux de pénétration d’Internet à Cuba est de 14%, ce qui place le pays au même niveau que les nations les plus pauvres comme le Salvador et le Guatemala. Seule un infime portion de la population cubaine dispose d’une connexion Internet à domicile. Les autres y accèdent généralement depuis leurs lieux de travail, depuis des cyber-cafés d’hôtels, où la demi-heure de connexion peut coûter plus de 10 dollars, soit à peu près la moitié d’un salaire d’un fonctionnaire.

Une journaliste avec qui j’ai discuté à La Havane comparait la politique du gouvernement au système de rationnement national :

Ils distribuent l’accès à internet de la même manière qu’ils distribuent du riz : selon les besoins

Les professionnels expérimentés – docteurs, académiciens, chercheurs en science ou en technologie et hauts fonctionnaires – sont autorisés à accéder à Internet depuis leurs lieux de travail car cela est considéré comme nécessaire pour leur profession. Ils sont d’ailleurs censé n’utiliser la toile que dans le cadre de leur travail. Si certains se permettent de lire leurs e-mails, consulter la presse, ou écrire sur un blog depuis le bureau, d’autres sont plus prudents. Des rumeurs qui circulent prétendent que le gouvernement aurait installé des logiciels espions, et le fort contrôle social instauré depuis longtemps à Cuba incitent les Cubains à auto-censurer leurs comportements d’internaute, même lorsqu’ils ont totalement accès à Internet.

Pour les millions de cubains qui n’appartiennent pas à l’élite des travailleurs très qualifiés, le gouvernement a construit un “intranet” connu sous le nom de “Red Cubana”, que les cubains peuvent utiliser depuis les universités, les clubs d’informatiques de jeunes, et les bureaux de poste. Si Red Cubana permet de se connecter à la plateforme de mail officielle, il ne permet pas aux cubains d’accéder au réseau mondial. En fait, ce réseau permet de se connecter uniquement aux sites hébergés à Cuba, lesquels sont tous sous la permanente surveillance du ministère de l’information et des télécommunications.

Aussi objectif que cela puisse paraitre, la “distribution selon les besoins” politise l’accès à Internet : les Cubains peuvent être déchus de leur statut de “professionnels qualifiés” si leur comportements politiques franchissent la ligne jaune définie par le gouvernement. De même, ceux qui seraient impliqués dans des affaires de marché noir ou d’expression critique en ligne risque d’être fichés comme “anti-révolutionnaires”, ce qui peut aboutir à un certain nombre d’obstacles pour se connecter. Cependant, de même que les flux de capitaux étrangers augmentent dans le pays, les compétences informatiques ont également pénétré la société cubaine, permettant à de nombreux cubains de se connecter par des moyens non-officiels.

Accès underground et rumeurs de Blogostroïka

L’accès à Internet est devenu un sujet chaud dans l’économie underground grandissante de Cuba. Des cartes d’accès utilisées pour les cyber-cafés se vendent sous le manteau à des tarifs avantageux, et parmi ceux qui ont un accès à domicile, beaucoup permettent à leurs amis ou voisins de se connecter moyennant une taxe.

Des employés télécoms ont été soudoyés pour subdiviser les câbles des connexions à domiciles de manière à ce que plusieurs foyers puissent utiliser la même ligne. Des cubains ont même tenté d’établir des connexions satellites pirates depuis leurs toits. Et bien que les autorités aient tenté de réprimer ces activités, des preuves tendent à montrer qu’il existe un débat au sein du gouvernement : certains auraient tendance à penser que la multiplication des accès serait bientôt impossible à contrôler.

Alors que le gouvernement avait une politique visant à permettre un accès à Internet équilibré et stable (pour ne pas dire très limité), il condamne ouvertement les voix critiques qui s’élèvent parmi la communauté de blogs naissante. Des mémos diplomatiques envoyés depuis la section des intérêts américains à La Havane (le bureau qui remplace une véritable ambassade) et publiés par WikiLeaks en décembre 2010 suggèrent que les responsables gouvernementaux en sont venus à considérer les blogueurs de l’île comme “le défi le plus sérieux” pour la stabilité politique de Cuba.

Certains blogueurs comme Claudia Cadelo, l’auteur Orlando Luis Pardo Lazo, et Yoani Sánchez sont devenus de vigoureux avocats des “libertés numériques”, de la liberté d’expression, et des droits économiques des cubains. Ils ont gagné une immense reconnaissance parmi la communauté des défenseurs des droits de l’Homme et des leaders étrangers. La précieuse documentation sur la répression gouvernementale qu’ils ont réussi à fournir constituent des données brutes qui montrent la responsabilité du gouvernement.

En janvier 2010, Cuba Study Group, une organisation disparate qui se bat pour la libéralisation de Cuba, a organisée une réunion de chercheurs et d’experts pour discuter des bénéfices civiques et économiques que pourraient apporter les nouvelles technologies. Dans un article intitulé Empowering the Cuba People through technologies, ils ont sommé le président Obama et le Congrès américain de lever les restrictions (liées à l’embargo) sur les entreprises de télécommunications de manière à ce que le gouvernement cubain puisse nouer des contrats avec ces entités et ainsi améliorer l’accès à Internet dans l’île. Mais avant même que le gouvernement américain n’ait eu le temps de rassembler l’énergie politique pour agir, le gouvernement cubain avait trouvé un autre moyen de régler le problème.

La solution Chávez

Au cours de l’été 2010, le gouvernement est parvenu à un accord avec le Venezuela pour installer un câble de fibre optique reliant les côtes cubaines et jamaïcaines à celles du Vénézuela. Ce câble va multiplier par 3 000 la connectivité de Cuba, permettant ainsi l’utilisation de vidéo, voix par IP, et autres technologies hautement consommatrices en bande passante qui sont actuellement quasi-inaccessibles dans l’île. Le câble devrait être mis en place à partir de mars 2011, mais contrairement à ce que de nombreux cubains espéraient, il ne créera pas d’opportunités nouvelles pour les cubains désireux de se connecter au réseau : il augmentera seulement la qualité de la connexion de ceux qui y ont déjà accès.

Sous le gouvernement Castro, l’émergence de formes de communications ouvertes, sans frontières, multilatérales constitue un sérieux enjeu. La stabilité nationale repose sur des structures bureaucratiques et politiques centralisées, des libertés civiles limitées et un contrôle social profondément ancré dans la psychologie collective. L’exploration et l’expression libre d’idées politiques ne fait pas partie de la vie civile, et l’auto-censure est à la fois naturelle et souvent inconsciente. Des blogueurs comme Sánchez et Pardo Lazo ne font partie que d’un tout petit groupe de citoyens cubains qui aiment le risque et qui se sont débarrassés des mécanismes de contrôle social. Mais ils demeurent l’exception à la règle.

Alors que le gouvernement cubain est tout à fait conscient de la puissance potentielle des plateformes de médias sociaux telles que Twitter ou Facebook, les responsables gouvernementaux comprennent aussi les énormes avantages du réseau comme un espace d’acquisition de connaissances. Ils sont déterminés à maintenir l’excellence dans le secteur médical et universitaire, et ils reconnaissent que si les chercheurs ne pouvaient pas se connecter avec leurs homologues internationaux, ils seraient rapidement mis hors jeu.

Afin de trouver un équilibre à ce conflit d’intérêts, le gouvernement a créé une hiérarchie sociale complexe de l’utilisation à Internet. Les personnes hautement éduquées et compétentes peuvent accéder au réseau global, mais sous surveillance. Ceux qui ont de l’argent peuvent se connecter à partir des cyber-cafés des hôtels, ou bien aller sur le marché noir pour pirater une connexion. Tous les autres – la masse de travailleurs qui furent un temps l’âme collective de la révolution de Fidel Castro – peuvent utiliser Red Cubana. Ou bien attendre la prochaine révolution…

Article initialement publié sur Policy Innovation

Illustrations : Woorkup, Flickr CC Paul KellerMartin AbegglenLars Kristian FlemPietro Izzo and Andre Deak

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