OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 E-direct de l’e-G8 http://owni.fr/2011/05/24/direct-eg8-sarkozy-internet/ http://owni.fr/2011/05/24/direct-eg8-sarkozy-internet/#comments Tue, 24 May 2011 15:54:27 +0000 Andréa Fradin, Ophélia Noor, Guillaume Ledit et Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=64309 Cet article sera mis à jour tout au long de cet e-G8, par notre e-OWNIteam \o/

Retrouvez les points les plus importants:

- Notre grille de Bullshit Bingo

- “Ne faites pas de mal à Internet”

Tuyaux, propriété intellectuelle, et le ton monte

- La société civile organise sa propre session

- Un déjeuner à l’É-lysée

- Et maintenant?


Un immense chapiteau en forme d’Algeco géant, des centaines d’invités, des petits fours Lenôtre, quelques gros bonnets descendus de leur tour d’ivoire (Didier Lombard traversant le buffet), le décor de l’e-G8 est solidement planté. Tout a commencé par une allocution attendue de Nicolas Sarkozy, chaudement accueilli par Maurice Lévy, le P-DG de Publicis et président de l’événement. “Ce forum est historique”, s’est emballé le publicitaire, visiblement ravi de jouer les maîtres de cérémonie. “Internet doit être libre des contraintes et responsable”, a-t-il ajouté, pour mieux introduire le président de la République.

Premier enseignement du Sarkozy 2.0: s’il a abandonné le concept impopulaire d’“Internet civilisé”, c’est pour mieux lui préférer la notion d’“Internet responsable”, une subtilité rhétorique qui a traversé l’ensemble de son allocution. Après avoir remis en question l’Hadopi lors de l’installation du Conseil national du numérique le 27 avril dernier, le chef de l’État a de nouveau durci le ton, érigeant le droit d’auteur, la propriété intellectuelle et la lutte contre les monopoles au rang de priorités. Dans l’entourage du président, on refuse de livrer le nom de la plume qui a couché ces bons mots (pas plus qu’on ne veut donner les noms des quelques chefs d’entreprise privilégiés qui ont déjeuné à l’Élysée ce midi) . Entre autres morceaux choisis, on peut isoler ceux-ci:

Vous avez besoin d’entendre nos lignes rouges au nom de l’intérêt général de nos sociétés.

Personne ne doit pouvoir être exproprié [...] de sa propriété intellectuelle.

Vous (les acteurs d’Internet, ndlr) ne pouvez pas vous exonérer de valeurs, de règles minimum.

Afin de tenir une comptabilité précise, nous avons imaginé une petite . Libre à vous de l’imprimer et de remplir le tableau de marque.

Après avoir loué les soulèvements arabes qu’il aurait pourtant évacué d’un revers de main il y a quelques semaines (“Internet est devenu l’échelle de crédibilité d’une démocratie, ou l’échelle de honte d’une dictature”), Nicolas Sarkozy a été apostrophé par le journaliste américain Jeff Jarvis. Il lui a demandé de prêter serment:

Do not harm the Internet / Ne faites pas de mal à Internet

Interrogé par OWNI, Jarvis regrette que le président ne l’ait pas pris au sérieux. En sus, il estime que “les gens de l’Internet auraient du organiser leur propre sommet”, en regrettant l’omniprésence de la sphère industrielle.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans le même temps, quelques autres voix dissonantes se faisaient entendre, comme celle de Yochai Benkler, éminent professeur de droit à Harvard, qui a fustigé l’“absurdité de la loi Hadopi”. Même Eric Schmidt, le directeur exécutif de Google, y est allé de son refrain contestataire, en exhortant les Etats à ne pas légiférer trop tôt, parce que “la technologie avance plus vite que les gouvernements”. Ces belles intentions n’ont pourtant pas permis de redresser le niveau d’une séance “Internet et société” dans laquelle Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia, a du ferrailler avec Facebook ou Groupon. Tenant d’un réseau ouvert, Tristan Nitot, M. Mozilla en Europe, nous a fait part de sa satisfaction d’être invité, tout en s’agaçant de la composition des panels et “qu’on passe sous silence ce qui n’a pas de valeur financière”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Au vu du débat, difficile de lui donner tort. Stéphane Richard, patron d’Orange (qui est l’un des deux plus gros sponsors de l’e-G8), a profité de sa présence dans cette plénière sur les implications sociétales du Net pour imposer un thème qui lui est cher: la contribution des fournisseurs de service dans le financement des infrastructures, sur un argument simple, en forme de double lame:

Sans les réseaux Internet n’est rien [...] Internet n’est pas qu’une question de libertés, c’est une question d’argent.

Après cette incursion dans l’épineuse question de la netneutralité et des tuyaux (pendant laquelle Google et Apple en ont pris pour leur grade), on a pu assister à l’apothéose de cette première journée: la discussion sur “la propriété intellectuelle et l’économie de la culture à l’heure du digital”. Dans le coin droit, Antoine Gallimard, Pascal Nègre (président d’Universal), le patron de la Twentieth Century Fox, celui de Bertelsmann et Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture. Dans le coin gauche, un invité surprise, John Perry Barlow, cofondateur de l’Electronic Frontier Foundation, une association américaine qui défend les libertés numériques.

Sans surprise, le débat “apaisé” a vite tourné à la foire d’empoigne. Tandis que Pascal Nègre défendait son fonds de commerce en affirmant que le Net “crée des déserts culturels”, Barlow répondait par un soupir:

Mon Dieu, je ne vis pas sur la même planète.

John Perry Barlow, seul contre tous?

Pendant que la salle, coupée en deux, applaudissait tour à tour chaque camp, et que dans la salle, Andrew Keen (l’auteur du Culte de l’amateur) jouait avec jubilation sa partition de troll, Jérémie Zimmermann, le porte-parole de la Quadrature du Net, apostrophait vigoureusement un panel décidément attaché à ses bas de laine.

L’orage passé, John Perry Barlow nous confie qu’il a été invité à participer à cette plénière à la dernière minute: Lawrence Lessig, pape des Creative Commons et professeur de droit à Stanford, devait tenir la place du gardien du temple, mais Frédéric Mitterrand aurait fait barrage à sa présence. A l’e-G8, tout le monde a droit à la parole, mais pas de la même façon.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Mercredi, sur le coup de 11h, quelques représentants des internautes ont décidé de tenir une conférence de presse sauvage en marge des débats. Face à un parterre d’une quarantaine de personnes, six intervenants ont pris la parole pour défendre “un Internet ouvert et libre”:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

“Je suis surpris qu’un événement français soit aussi américain”, a ironisé Lessig, avant de s’en prendre à l’ “audace de Nicolas Sarkozy, qui consiste à demander à de gros industriels quel doit être le futur d’Internet”. De son côté, Yochai Benkler a évoqué l’opposition de deux camps, qui s’affrontent “depuis quinze ans”:

Il y a d’un côté un camp ancré dans le XXe siècle qui a peur du changement, de l’innovation. Ces grandes compagnies veulent que le camp adverse, celui d’un réseau décentralisé, distribué, se plie à leurs exigences.

Sur une tonalité alarmiste, Jeff Jarvis s’est dit “effrayé par ces deux jours”. Pour lui, “Internet n’est pas l’affaire des gouvernements”. Tandis que Lessig soutenait que le Net “a très bien réussi à s’auto-éduquer”, Jérémie Zimmerman s’en est pris aux sponsors de l’e-G8, et Susan Crawford a souligné “l’absence de consensus sur le contrôle d’Internet”.

En aparté, Lawrence Lessig a explicité plus précisément son point de vue sur le barnum parisien, en expliquant notamment les déboires de Google aux États-Unis:

Quand vous voyez le mode d’organisation de cet événement, on peut parler de ploutocratie. Bien sûr, il faut écouter les grosses compagnies, mais elles ne jouent que la carte du profit. La question est la suivante: comment transformez-vous radicalement la façon dont les gouvernements fonctionnent? La réponse des États-Unis est très étroite d’esprit, et Google s’y heurte sur de nombreux sujets. Mais je ne leur fais pas confiance pour autant. Ce qui est inscrit dans leur patrimoine génétique, c’est le profit maximal.

Hier, la rumeur bruissait dans les allées de l’e-G8: Nicolas Sarkozy s’était entouré d’une vingtaine d’entrepreneurs pour partager son déjeuner élyséen. Une photo, publiée sur le site de l’Elysée, permet d’identifier ces joyeux convives.


La légende n’étant pas complète sur le site du Palais, nous avons identifié les individus présents sur la photo. Il nous en manque encore deux (les points d’interrogation dans la liste ci-dessous), aidez-nous à les retrouver!

De gauche à droite, premier rang:

Craig Mundie (Microsoft), Maurice Lévy (Publicis, Sharon Sandberg (Facebook), Nicolas Sarkozy, ?, Sunil Bharti Mittal, Sun Yafang (Huawei)

De gauche à droite, deuxième rang:

Joe Schoendorf (Accel Partners), Thomas H. Glocer (Thomson Reuters), Klaus Schwab (World Economic Forum), Eric Schmidt (Google), Ben Verwaayen (Alcatel-Lucent), Jimmy Wales (Wikipedia), Arthur Sulzberger (New York Times), ?, Rupert Murdoch (NewsCorp)

De gauche à droite, troisième rang:

Michel de Rosen (Eutelsat), ?, Xavier Niel (Iliad/Free), Stéphane Richard (Orange), Paul Hermelin (Capgemini), John Donahoe (eBay), Yves de Talhouët (Hewlett-Packard)

Après Tristan Nitot, le représentant européen de la fondation Mozilla, Mitchell Baker, sa présidente au niveau mondial, a accepté de répondre à nos questions. Elle estime que l’e-G8 pose la question de la relation entre les gouvernements, les internautes et les citoyens, et s’interroge notamment sur les moyens de représenter “les deux milliards d’individus qui ne participent pas encore à Internet”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

A quelques heures des recommandations finales, Bertrand de La Chapelle, membre du board of directors de l’ICANN (l’organisation chargée d’attribuer les adresses IP à travers le monde), nous a livré son impression sur ce mini-sommet d’Internet. Spécialiste des modes de dialogue entre les différents acteurs du secteur, il livre une analyse plutôt optimiste:

D’ordinaire, le G8 ne compte aucun acteur civil. Quelque part, cela rappelle l’initiative de 2000, quand le rassemblement des chefs d’Etat avait convié une “DOT Force” (Pour Digital Opportunity Task Force), composée d’un représentant de la société civile et d’un autre des entreprises, et ce pour chacun des huit participants. Il faut donc se poser la question en ces termes: quelles sont les enceintes pour parler d’Internet au niveau mondial, sur des sujets transfrontières, complexes et non-linéaires ? Avec cet événement, un espace de débat vient de se coller au G8, un laboratoire dans la lignée du Forum sur la gouvernance d’Internet. Les tensions sont normales, mais les gouvernements ont besoin d’inputs, de retours et de compétence technique.

Bertrand de La Chapelle tient par ailleurs à insister sur un point, la nécessité d’un dialogue “entre trois catégories d’acteurs, les gouvernements, les entreprises, et la société civile”. Une interpénétration qui échappera un peu à la “conversation” entre Maurice Lévy et Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook, arrivé directement de l’Elysée, où Nicolas Sarkozy le recevait à l’heure du déjeuner.

Pendant 45 minutes, on a assisté à une confrontation assez molle, “un publicitaire interviewant un des plus gros supports publicitaires”, comme le dira non sans une pointe d’ironie un fin connaisseur du numérique français. Devant une audience assez largement fascinée par la réussite du petit génie d’Harvard, le tycoon même pas trentenaire a défendu son entreprise dans ce qu’on appellera une keynote gentiment interactive. Telle une rockstar en roue libre, le jeune milliardaire (27 ans) a délivré un discours bien rôdé sur les vertus du partage, sirotant son Gatorade entre deux questions du public qu’il ne comprenait pas toujours. T-shirt gris, jean, baskets, le cador de la Silicon Valley cultive son image, à l’image d’un Steve Jobs, qui ne sort jamais publiquement sans son pull à col roulé et ses New Balance. Mais au moment d’évoquer la régulation, Zuckerberg préfère botter en touche.

En guise de dessert, tous les sponsors – dont une partie ira jouer les messagers à Deauville – se sont retrouvés sur l’estrade, pour exposer leurs conclusions. Maurice Lévy a déploré le bilan de certaines discussions (“Je ne comprends pas vraiment cette phrase”), les opérateurs ont prêché pour leur paroisse (rarement en faveur de la neutralité), et Ben Verwaayen, le directeur général d’Alcatel-Lucent, a eu ce dernier éclair de lucidité :

Ici, nous nous sommes encore parlés à nous-mêmes.


:

- Andréa Fradin: @fradifrad
- Ophélia Noor: @noorchandler
- Olivier Tesquet: @oliviertesquet
- Guillaume Ledit: @leguillaume

Crédits photo: CC Ophélia Noor pour OWNI, illustration de Une et Bullshit Bingo CC Elsa Secco pour OWNI

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Bienvenue à l’e-G8, le Davos du web http://owni.fr/2011/05/23/eg8-davos-web-internet-sarkozy-publicis/ http://owni.fr/2011/05/23/eg8-davos-web-internet-sarkozy-publicis/#comments Mon, 23 May 2011 14:19:48 +0000 Andréa Fradin et Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=64078

De la même manière que Cannes donne envie aux gens de faire des films, l’e-G8 doit être une vitrine du web.

Dans la bouche de Maurice Lévy, puissant patron du groupe de communication Publicis et président de ce pré-sommet consacré aux questions numériques, cette phrase résonne comme un slogan publicitaire à destination des jeunes entrepreneurs. Pendant deux jours, les 24 et 25 mai, le jardin des Tuileries va se transformer en FIAC de l’Internet, à l’initiative de Nicolas Sarkozy. En nous recevant dans son bureau des Champs-Elysées, le P-DG se veut rassurant: “Nous avons l’habitude de ce type de manifestations, nous organisons Davos”. Et c’est peut-être ce qui inquiète certains.

1000 invités, des pointures internationales (Mark Zuckerberg de Facebook, Eric Schmidt de Google, Jeff Bezos d’Amazon, le magnat des médias Rupert Murdoch), un grand chapiteau, des ateliers, des stands où les jeunes pousses du web pourront s’exposer: le parfait environnement pour réfléchir à “l’impact d’Internet sur l’économie”… Quitte à oublier le reste.

Car si l’item tarte à la crème ”Internet et la société” (avec la brochette Groupon, Orange, Facebook, le World Economic Forum et Wikipedia) est bien au programme de l’eG8, l’événement reste trusté par des problématiques au registre beaucoup plus industriel. Parmi les séances plénières, relevons:

  • “Internet et la croissance économique” (avec eBay, Vivendi, Google, Christine Lagarde)
  • “la propriété intellectuelle à l’heure du numérique” (avec Gallimard, Twentieth Century Fox, Universal et Frédéric Mitterrand) 
  • “encourager l’innovation” (Lessig, Financial Times, Free, Éric Besson)

Une discussion à l’attention des gros bonnets du web, qui encadrent également la manifestation: “le président a souhaité que l’e-G8 soit organisé en dehors des pouvoirs publics”, précise Maurice Lévy.

Dans les tuyaux depuis 2006

En tout, il devrait coûter aux alentours de trois millions d’euros, et Publicis se prépare déjà à un exercice “déficitaire”. Dans l’affaire, l’Élysée se contente de louer le jardin des Tuileries, ce qui veut donc dire que les grands acteurs du secteur sont poussés à la contribution.

Comme le révélait La Tribune dans son édition du 2 mai, les sponsors ont du débourser entre 100 000 et 500 000 euros pour être partenaires de l’événement et afficher un logo sur les affiches. Quand on lui demande s’il ne s’agit pas d’un achat de temps de parole, Maurice Lévy s’emporte:

Vous ne pouvez pas organiser une telle manifestation sans inviter certains acteurs. Si on n’avait pas convié Stéphane Richard, ça n’aurait pas été très sérieux.

Ce faisant, il reconnaît ainsi implicitement la présence d’Orange parmi les “co-chairmen”, aux côtés de Vivendi, eBay, Microsoft ou Capgemini.

Pour Lévy, l’e-G8 est un couronnement. Dès 2006, “au moment de la remise du rapport sur l’économie de l’immatériel”, il rêvait du Grand Palais pour “susciter la création”. Mais ses envies avaient dû être remisées au placard. Motif invoqué par Éric Besson et Nathalie Kosciusko-Morizet, tour à tour secrétaires d’État à l’économie numérique? Pas d’argent. Et c’est finalement Nicolas Sarkozy qui relance l’idée en mars 2011.

“Il voulait mettre à l’ordre du jour du G8 un certain nombre de points relatifs à Internet, et il m’a donc contacté”, se félicite Maurice Lévy. Et si ce dernier refuse de s’avancer davantage sur les priorités, il reconnaît quelques grandes lignes, pas si éloignées de “l’Internet civilisé” enterré en grande pompe il y a quelques semaines:

Il faut nourrir les huit chefs d’État. Le président a isolé certaines questions: les droits d’auteur, les infrastructures, la protection de l’enfance. Apporter des réponses à cela n’a rien d’anormal. Il faut se poser la question de ce qui forme ou non une démocratie.

“Ceux qui ne seront pas présents auront tort”

Ravi de la perspective qu’offrent ces deux jours, le publicitaire tient néanmoins à déminer le terrain, conscient des limites de l’exercice. “Sur Internet, si vous faites une connerie, vous vous faites reprendre 25 fois”, note-t-il dans un sourire. Encadré par deux collaborateurs versés dans le numérique, le boss de Publicis a visiblement identifié les points de friction potentiels:

Des gens qui ne représentent rien se feront entendre, et vice-versa. Nous avons invité quatre personnes de l’ICANN, le président de l’Electronic Frontier Foundation, Lawrence Lessig et d’autres universitaires d’Harvard ou Princeton. Ceux qui ne seront pas présents auront tort.

Parmi les absents, on peut signaler Cory Doctorow, l’un des plus célèbres activistes du web. Sur BoingBoing, il explique brièvement les raisons qui l’ont poussé à décliner l’invitation:

C’est une tentative de manipuler les gens qui s’intéressent à l’Internet, pour qu’ils prêtent de la crédibilité à des régimes qui sont en guerre avec le web ouvert et libre.

Pour Jérémie Zimmermann, porte-parole de la Quadrature du Net, il s’agit ni plus ni moins d’une “opération de blanchiment [des politiques publiques] qui masque ce que les gouvernements mettent en œuvre depuis un an”. En citant WikiLeaks, le COICA ou les directives européennes en matière de filtrage, il rappelle que l’ACTA, le fameux accord commercial anti-contrefaçon négocié en secret pendant deux ans, doit être soumis au vote lors d’un conseil des ministres de l’OCDE qui se tiendra… en même temps que le G8.

Au plan européen, de nombreuses initiatives citoyennes, dont la Quadrature du Net, Telecomix ou Network Cultures dénoncent de façon unanime la tenue de l’eG8, “sommet visant à œuvrer pour un Internet civilisé”, dont le sort ne dépendrait que d’une poignée de chefs d’État. Pour se faire entendre, ils ont déjà mis sur pied un contre-site: “G8 vs Internet”.

Abandon de la gouvernance?

Soucieux d’éviter le retour de bâton, Maurice Lévy tient à préciser que la qualité de l’e-G8 “dépendra de la qualité de ses interventions”. Celles-ci, poursuit le grand ordonnateur, pèseront chacune de la même façon dans les conclusions de l’événement, de “l’échange” (il ne faut surtout pas parler de keynote) mené entre Zuckerberg et la salle à l’avis d’un auditeur lambda. A l’en croire, cette synthèse, adressée aux dirigeants qui se réuniront dès le lendemain à Deauville pour le G8, devrait donc être équilibrée. Et dégagée du sceau du Palais: “Il n’y a pas l’ombre de l’Élysée sur les conclusions”, assure le patron de Publicis.

Pourtant, Nicolas Sarkozy et ses sherpas auraient orienté les débats depuis de longs mois. Selon des informations publiées par Frédéric Martel sur Marianne2.fr, le président de la République aurait fait barrage en 2010 à une conférence destinée à mettre en lumière l’action des cyberdissidents à travers le monde. “Vous m’avez fait part de votre intention de réunir une conférence internationale consacrée à la liberté d’expression sur Internet. Cette problématique doit être abordée de manière globale”, aurait-il fait savoir à Bernard Kouchner – encore ministre des Affaires étrangères par l’entremise de ses conseillers.

Aux yeux de Jérémie Zimmermann, le cadre du forum est biaisé, et il craint que les gouvernements n’abandonnent la gouvernance aux richissimes ténors du web, dont le poids est devenu tel qu’ils influent directement sur les décisions politiques:

L’e-G8 part du principe que les leaders d’Internet sont ceux qui ont de l’argent. Prenez les trois invités majeurs (Facebook, Google et Amazon, ndlr): deux d’entre eux font reposer leur modèle économique sur la collecte des données personnelles, et la dernière est passée maître dans l’art de déposer des brevets fantaisistes. Cette conférence ouvre la porte à des entreprises dont le business model est fondé sur la restriction.

Quand on lui oppose cet argument, Maurice Lévy tique. Il insiste:

Le débat ne sera intéressant que s’il est contradictoire.

Reste à savoir qui parlera le plus fort. Et dans l’arène, pas sûr que tous les participants jouent à armes égales.

NB: Sur le site officiel de l’eG8, Publicis vient de mettre en ligne une vidéo mettant en scène l’effort, les escabeaux et la sueur mobilisés pour la mise en place de ce grand événement. Le tout à grand renfort de musique blockbusterienne. On vous laisse déguster.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Crédits photo: eG8 Forum, Flickr CC tOkKa, celticblade, pierre bédat

Retrouvez tous les articles de notre Une e-G8 sur OWNI (illustration de Une CC Elsa Secco pour OWNI)
De l’Internet des “Pédos-nazis” à l’”Internet civilisé”

- G8 du net : les bonnes questions de Nova Spivack

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http://owni.fr/2011/05/23/eg8-davos-web-internet-sarkozy-publicis/feed/ 10
Hack the CNN /-) http://owni.fr/2011/04/27/hack-the-cnn-owni-nicolas-voisin-au-conseil-national-du-numerique/ http://owni.fr/2011/04/27/hack-the-cnn-owni-nicolas-voisin-au-conseil-national-du-numerique/#comments Wed, 27 Apr 2011 08:49:39 +0000 Nicolas Voisin http://owni.fr/?p=58076 L’Élysée m’a proposé de faire partie des 18 à 20 “sages” du Conseil National du Numérique (CNN), destiné à réunir les acteurs d’Internet “dans leur diversité”, et qui “sera consulté sur l’ensemble des projets de textes législatifs et réglementaires et sur l’action des pouvoirs publics dans les domaines de la société de l’information”, comme l’a précisé le ministre de l’industrie, ainsi que sur l’ensemble des politiques publiques touchant la société de l’information. Une instance sensée être interrogée à l’avenir avant de mettre en branle la machine législative à tort et à travers, en quelque sorte.

C’était une rumeur persistante, du genre de celle qui fait sourire tant elle parait improbable. “vu comme vous tapez sur l’exécutif, je ne vois pas cela se faire” nous disaient, unanimes, ceux avec lesquels nous discutions de ce qui n’était pas une information, mais des bruits de couloir.

La proposition était d’autant plus étonnante que nous avons lancé OWNI.fr – l’Objet Web Non Identifié dont je suis le Directeur de la publication – au moment de la “bataille de l’Hadopi“, pour incarner et diffuser un certain nombre de valeurs, de libertés, une conception du web que la loi Création et Internet mettait, sinon en péril, tout du moins en danger.

Il n’est pas un Internet sauvage et un autre civilisé, l’un qui faudrait dompter, l’autre auquel nous devrions nous résigner.

Mon approche et ma vision de l’Internet pourraient ainsi être perçues comme entrant de plein fouet en contradiction avec celles portées par l’actuel gouvernement. Je n’en ai pas moins accepté de faire partie du CNN, parce que sa composition et sa feuille de route me laissent à penser que les missions qui lui ont été attribuées ne seront pas vaines, et qu’il pourra bel et bien servir d’instance de concertation, et d’orientation, des politiques publiques appliquées au numérique.

Les pouvoirs publics, en France en particulier, ont le plus souvent fait montre d’une vision biaisée, pour ne pas dire anxiogène, de l’Internet. La création du CNN montre qu’il peut – peut-être – en aller autrement et que notre société a beaucoup à apprendre de ceux qui, chefs d’entreprises, entrepreneurs des nouveaux médias, contribuent à faire de cette société de l’information une partie de la solution, plus que des problèmes, auxquels nous sommes collectivement confrontés. Plus encore, qu’il n’est pas un Internet sauvage et un autre civilisé, l’un qui faudrait dompter, l’autre auquel nous devrions nous résigner.

La tentation quasi adolescente de claquer la porte a été forte. En acceptant cette nomination, j’entends bien me faire le porte-voix de tous ceux pour qui l’Internet constitue une chance pour nos démocraties, et qui défendent donc :

La neutralité du Net et des réseaux, la possibilité pour les citoyens de s’y exprimer, le droit d’accès libre et universel au web, la société du partage, du remix, de l’open-source, de l’open-data et du Creative Commons, notamment.

Enfin, Internet est également une formidable opportunité pour nos économies : le rapport McKinsey a ainsi récemment estimé que l’Internet, qui pèse 60 milliards d’euros dans l’économie française, a créé plus de 700 000 emplois, soit 25% des emplois créés en France depuis 1995.

Je n’ai pas fait l’ENA. Pire, je n’ai pas de diplôme, juste un joli BAC en poche. Mais j’ai créé ma première entreprise à 18 ans et en lançant, en 2006, le PoliTIC’Show, un blog vidéo qui donnait des temps longs aux candidats à la présidentielle de 2007 pour s’exprimer, j’ai tenté de montrer qu’un blogueur, un citoyen, un amateur, pouvait apporter une véritable valeur ajoutée aux débats politiques. Aujourd’hui, avec OWNI, nous tentons de montrer ce qu’Internet peut apporter au journalisme, à la médiation culturelle et à la redéfinition de l’écosystème médiatique. Je me plais à penser que cette nomination au CNN témoigne d’une évolution dans la perception que se font les pouvoirs publics de ceux qui peuvent aujourd’hui contribuer au débat public.

Mais je ne suis pas dupe : le Parlement n’aura probablement guère le temps d’être saisi de textes majeurs relatifs à l’Internet d’ici la présidentielle de 2012. Je n’en fais pas moins le pari que le travail du CNN permettra, d’ici là et je le souhaite par la suite, de contribuer au débat sur ce que peut apporter l’Internet en particulier, et le numérique en général, à notre démocratie – et qu’il serait dommage de s’en priver.

Si tel n’était pas le cas, j’en tirerai les leçons, avec vous et le million et demi d’internautes séjournant ici chaque mois, avec l’ensemble des 38 salariés associés d’OWNI et le millier d’auteurs que nous avons réunis, qui accompagneront, je n’en doute pas un instant, l’exigence qui devra être celle des “sages” du CNN et du petit artisan nommé ce jour, afin de vous représenter.

MAJ : Suite à sa première réunion, qui s’est tenue ce jour, la Commission Nationale du Numérique [#CNNum] s’est organisée en 3 commissions “Croissance, Accès et Libertés” et a élu :

- Gilles Babinet en tant que Président,
- François Monboisse, en tant que Vice-Président en charge de la Commission Croissance.
- Giuseppe De Martino en tant que Vice-Président en charge de la commission Accès.
- Nicolas Voisin, en tant que Vice-Président en charge de la commission Liberté.

Lire les autres articles de notre dossier :

CNN, une utopie séduisante ?

Pour un Internet “neutre et universel”

Crédits photos CC FlickR Rémy Saglier, Quasimodo

Une Marion Boucharlat à partir de Alex No Logo, téléchargez-la /-)

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En défense d’Internet et de WikiLeaks (1): nous autres, barbares… http://owni.fr/2011/01/03/en-defense-dinternet-et-de-wikileaks-1-nous-autres-barbares%e2%80%a6/ http://owni.fr/2011/01/03/en-defense-dinternet-et-de-wikileaks-1-nous-autres-barbares%e2%80%a6/#comments Mon, 03 Jan 2011 16:32:59 +0000 Edwy Plenel http://owni.fr/?p=40683 A peine conquises, nos libertés numériques sont menacées. Tandis qu’avec la loi LOPPSI 2, l’Assemblée nationale autorisait une censure gouvernementale du Net, le gouvernement, par le zèle d’Eric Besson, a voulu empêcher l’hébergement de WikiLeaks en France. Nul doute qu’avec la présidence française du G8 et du G20, d’autres épisodes vont suivre: en septembre dernier, Nicolas Sarkozy ne s’était-il pas déclaré partisan d’un «Internet civilisé»? Voici ma réponse de barbare solidaire de WikiLeaks à ces civilisateurs-là.

Argument d’urgence et cheval de Troie

Mardi 21 décembre 2010, un nouveau verrou a sauté. Face aux potentialités libératrices offertes par la révolution du numérique, les pouvoirs politiques et économiques dont elle dérange les situations acquises, de rentes et de dominations, continuent sur la voie déjà illustrée par l’épisode Hadopi à propos du droit d’auteur: non pas inventer de nouveaux droits, étendre les libertés fondamentales et renforcer l’écosystème démocratique, mais, tout au contraire, se barricader pour mettre à distance les usagers, les contrôler et les surveiller, dans une alliance d’intérêts où politique et économie font bon ménage, hors de toute règle de droit, dans un arbitraire à la fois policier et financier.

Concrètement, en adoptant en seconde lecture le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (plus communément appelé LOPPSI 2), une majorité de députés de l’Assemblée nationale a décidé de donner les pleins pouvoirs au ministère de l’intérieur pour censurer Internet. Comme toujours quand il s’agit de s’en prendre à une liberté fondamentale, de l’amoindrir ou de la fragiliser (ici, le droit fondamental à l’information dont, auujourd’hui, le Net est le véhicule le plus démocratique), le prétexte est une menace terrifiante et supposée terrifier, brandie pour faire taire les doutes et faire peur aux hésitants. Le terrorisme a ainsi souvent servi d’argument d’urgence et d’autorité pour sortir du droit commun, réduire les droits de la défense, augmenter les prérogatives policières, etc. Dans le cas d’espèce, le prétexte est la pédopornographie dont, évidemment, personne ne saurait mettre en cause la nécessité de la réprimer.

Comme le dit fort bien Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du Net, la protection de l’enfance sert ici de cheval de Troie pour réussir à introduire un filtrage administratif d’Internet, hors de tout contrôle de la justice, sans décision d’un juge ou d’un tribunal, sans droit de regard de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), sans évaluation du Parlement, etc. Désormais, l’Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication (OCLCTIC), qui dépend directement du ministère de l’intérieur, sera seul chargé de contrôler Internet sans avoir de comptes à rendre et pourra seul, sans droit de recours, prendre la décision de mettre un site sur sa liste noire. C’est un peu comme si, à la fin du XIXe siècle, quand débute vraiment l’ère médiatique avec l’apparition de la presse de masse, née de la précédente révolution industrielle (celle de l’électricité), on donnait à la police, au prétexte de dangers pour la morale publique, l’entier pouvoir d’empêcher la diffusion de tel ou tel journal, de façon discrétionnaire. Les plus démocrates de nos républicains d’alors auraient évidemment crié au déni de droit, estimant à raison qu’une telle interdiction de fait était contraire à l’État de droit et qu’une décision de cette gravité ne pouvait intervenir qu’à l’issue d’un débat contradictoire devant une instance judiciaire. Autrement dit que seule la justice pouvait la prendre, et certainement pas la police seule. Sinon, c’eût été le retour à une censure préalable digne de l’Ancien Régime, c’est-à-dire le retour à un État d’exception!

C’est donc ce qui nous arrive en ce début du XXIe siècle: face à la vitalité démocratique d’Internet, l’actuelle majorité de droite (mais elle compte certains alliés à gauche dont les silences ou les prudences sont bavards) instaure un contrôle policier discrétionnaire qui permet à l’État d’empiéter sur une liberté fondamentale. « Sous réserve de son adoption conforme – qui semble acquise – lors de la deuxième lecture au Sénatexplique Jérémie Zimmermannle Parlement va donc permettre au gouvernement de filtrer le Net sans décision préalable de l’autorité judiciaire. Sans moyen pour les citoyens de contrôler la manière dont les sites seront censurés ou de s’opposer aux décisions, le gouvernement a carte blanche pour faire lui-même la police sur le Net au mépris des droits fondamentaux.  Le risque est grand que ce filtrage extra-judiciaire du Net, qui remet en cause la séparation des pouvoirs, soit étendu à d’autres domaines. La porte est ainsi ouverte à de graves violations de la liberté d’expression et de communication, notamment dans le cas d’inévitables censures collatérales.» Et de conclure en demandant aux députés opposés au filtrage administratif du Net de saisir le Conseil constitutionnel afin que l’article concerné, l’article 4, soit censuré parce qu’il viole le droit fondamental à l’information.

“L’Internet civilisé”, grand œuvre du gouvernement

Ce vote augure mal de la suite dans le contexte de panique suscité chez nos gouvernants par les révélations de WikiLeaks. A l’exception notable de Christine Lagarde, le pouvoir, faisant chorus avec les tendances les plus réactionnaires de l’opinion américaine, s’est empressé de juger irresponsable et totalitaire l’activité de WikiLeaks (Nicolas Sarkozy), de l’accuser de vol et de recel et de vol (François Fillon) et, même, avec le zèle empressé qui caractérise Éric Besson (nouveau ministre en charge du numérique), de vouloir carrément le censurer en France, en interdisant qu’on puisse l’héberger. Sur son blog, Maître Eolas (que son récent déjeuner à l’Elysée n’a heureusement pas rendu moins vigilant et mordant) dit ce qu’il faut penser, en droit et en raison, de cette inquisition, où il s’agit, par opportunité politique, de «faire la chasse à un site qui ne fait rien d’illégal en droit français mais embête notre ami américain». Heureusement, pour l’heure, notre justice n’a pas suivi M. Besson et l’hébergement de WikiLeaks en France peut se poursuivre normalement.

Mais le pire, si nous n’y prenons garde et si nous ne nous mobilisons pas, peut venir de ces grandes messes mondiales que Nicolas Sarkozy est si fier de présider en 2011, dans son tour de chauffe international avant la présidentielle de 2012: les G8 et G20, regroupements, pour l’un, des puissances du monde d’hier et, pour l’autre,  de ces dernières associés à celles du monde de demain. Au début de l’automne 2010, l’Elysée avait fait savoir que deux sujets étaient jugés importants par cette future présidence française et dignes d’être mis à l’ordre du jour des débats entre puissances par Nicolas Sarkozy: les flux migratoires et Internet. D’un côté donc, la circulation des hommes et, de l’autre, celle des idées, des opinions et des informations. Cet ordre du jour (car l’on pourrait en proposer bien d’autres dont les mots d’égalité, de solidarité, de justice, de fraternité, de liberté, etc., seraient les inspirateurs) était en lui-même tout un programme, comme l’aveu d’une double peur, celle des hommes et des idées qui marchent ensemble, bougent, se déplacent, circulent, se mêlent, etc.

Sans doute ne faut-il pas faire de procès d’intention et attendre pour connaître les intentions exactes de Nicolas Sarkozy. Mais les épisodes LOPPSI et WikiLeaks donnent une tendance, confirmant ce qui s’exprimait dans une lettre adressée le 29 septembre 2010 par le président de la République à celui qui était encore son ministre des affaires étrangères. En vue d’une Conférence internationale consacrée à la liberté d’expression sur Internet, conférence qui sera finalement annulée, Nicolas Sarkozy fixait sa feuille de route à Bernard Kouchner. Elle était résumée d’une formule imagée: l’objectif, écrivait-il, est «de bâtir un Internet civilisé». Nicolas Sarkozy aurait pu évoquer un Internet «régulé», c’est-à-dire avec des règles, des droits et des devoirs, notamment pour ces nouvelles forces économiques que sont les multinationales du numérique dont la puissance est, en elle-même, facteur de déséquilibre, d’atteinte au pluralisme, de concurrence faussée, etc. Non, il a préféré parler d’un «Internet civilisé», ce qui suppose qu’y règnent des barbares sans contrôles qu’il faudrait donc amener, y compris par la contrainte, à une civilisation supérieure. Sa vision est clairement verticale, autoritaire et sécuritaire.

Internet, contrée des nouveaux barbares

«Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage»: la mise en garde est de Montaigne (1533-1592), dans ses Essais, lequel sut nous apprendre il y a près de cinq siècles ce décentrement par lequel nous acceptons de nous voir comme un autre et comprenons, du coup, que ces hiérarchies de cultures et de civilisations sont l’alibi de la peur et de l’ignorance. Les barbares dont parlait Montaigne étaient les cannibales amérindiens, mangeurs d’hommes (morts) dans des festins rituels, qu’il osa comparer aux massacreurs français de son temps, ceux des guerres de religion, féroces inquisiteurs, tortionnaires et étripeurs d’hommes (vivants). D’une férocité l’autre, voici ce qu’écrivait Montaigne:

Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par tourments et géhennes un corps encore plein de sentiments que de le rôtir et manger après qu’il est trépassé.

Nous voici arrivés bien loin d’Internet, direz-vous sans doute. Oh, que non! On pourrait par exemple souligner que les consignes secrètes à ses diplomates de Mme Hilary Clinton, les invitant à espionner jusque dans leur vie privée leurs collègues étrangers, relèvent plus essentiellement du vol, du recel de vol et de la violation de l’intimité de la vie privée, que la divulgation par WikiLeaks de télégrammes diplomatiques dont le contenu est, à l’évidence, d’intérêt public légitime, n’empiétant aucunement sur le droit des personnes. Bref, dans l’affolement qui gagne nos puissants (avec aussi bien la politique que l’argent comme moteurs de leur domination) face à l’indocilité bravache, confuse et multiforme d’Internet, il y a cette idée qu’ils seraient à bon droit les détenteurs de principes supérieurs face à des populations inférieures et qu’il leur reviendrait d’imposer cette civilisation installée aux nouveaux barbares qu’abrite et protège ce territoire inconnu et menaçant, le Net. Aussi est-il temps que nous autres, barbares, leur répondions, sans barguigner, solidairement et collectivement.

Dès demain sur OWNI: la suite de la série “En défense d’Internet et de WikiLeaks”.

Article initialement publié sur Mediapart. Également à retrouver sur le site, le texte préface du livre de Thierry Ternisien d’Ouville, consacré à la pensée d’Hannah Arendt (1906-1975) et récemment paru aux éditions Utopia.

Illustrations CC: sebjoguet, Vimages, sebjoguet,

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