OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [photos] #1 Nuit-Sujet: “Dégage!” http://owni.fr/2011/03/25/photos-1-nuit-sujet-degage/ http://owni.fr/2011/03/25/photos-1-nuit-sujet-degage/#comments Fri, 25 Mar 2011 13:47:38 +0000 Admin http://owni.fr/?p=53325 Deux paires d’yeux à l’affût

Ce ne fut pas facile pour tout le monde, cette #nuitsujet du mardi 22 mars…
Il y avait ceux, nombreux, qui assistaient à l’événement organisé par OWNI et Radio Nova, participant activement en descendant le bar généreusement installé dans un grand jardin synthétique, sous la verrière. Qu’importait pour eux que leur vue se brouillât légèrement, que leur démarche fût moins assurée, voire qu’ils s’écroulâssent (ouaaaiiis la concordance des temps) à la fin, dans les premières heures du jour d’après.

En revanche, hors de question pour Ophelia et t0ad, respectivement photographe et dessinateur officiels de la soirée, de se perdre dans les étoiles de la nuit des révolutions colorées. Il fallait que leur oeil restât aiguisé, leur main sûre, au clic et au feutre.

Et c’est avec fierté que nous pouvons vous dire que nos imagiers en chef ont parfaitement accompli leur mission, comme en témoigne cette sélection. Ophelia a shooté avec assurance, t0ad esquissé avec fermeté. Merci à eux. Ils permettent à ceux qui n’étaient pas présents mais attentifs de l’autre côté, de ressentir un peu ce que nous avons vécu lors de cette nuit extra-terrestre !

Quand à ceux qui étaient là, ils regarderont sans doute avec nostalgie ce diaporama dans quelques années : le premier bébé OWNI-NOVA est né par une très belle nuit de printemps /-)

Naissance de l’idée cosmique

Voilà, la première nuit Nova/OWNI est terminée… Rappelez-vous, il y a quelques semaines, on y croyait à peine. Julien Goetz nous racontait le 10 mars la naissance de cette belle nuit :

C’était un midi. L’hiver approchait à grand pas et OWNI avait rendez-vous avec NOVA. Du coup, forcément, on est allé se caler bien au chaud dans un lieu de ripailles, juste assez proche de la soucoupe pour ne pas se perdre au retour. Non, c’est sûr. Pas au retour. C’est au déjeuner que l’on s’est perdu. Une première rencontre autour d’une table. Un déjeuner en mode “challenge”. Non mais sincèrement… OWNI et NOVA, c’est juste fou, à l’origine. Une soucoupe rencontrant une étoile en explosion, c’est comme si cela coulait de source. Il y avait comme une évidence qui planait. Restait à l’affirmer et la rendre tangible.

Les plats défilent, quelques bouteilles se vident, on se présente, on s’explique, on se tourne autour, entre round d’observation et parade nuptiale. Oui, on aimerait bien s’échanger, croiser nos équipes, tenter des choses. Mais pas du traditionnel, pas du tout cuit / tout écrit. Pas du connu. Non, de la surprise, du déjanté, du grisant, de l’innové… Comme on sait le faire aussi bien chez OWNI que chez NOVA. Et l’idée qui tombe d’un coup, là comme ça, en plein dans nos assiettes, entre nos envies et nos hésitations : et une nuit à deux ? Oui après tout. C’est simple. Juste nous deux, toute une nuit. NOVA et OWNI. No ? Oui !

En attendant la prochaine nuit sujet, le 26 avril, faisons un récapitulatif de la soirée augmentée. Au choix : le Storify, les photos des coulisses et du studio, l’application et les podcasts…

L’application de la #nuitsujet

Réécoutez les 6 heures de live [Podcast]

L’implication des réseaux sociaux dans les révolutions du Maghreb

La communication et le marketing des révolutions

Les expériences web comme outil de lutte, ailleurs dans le monde

La prédiction des révolutions par l’open-data

Le potentiel révolutionnaire du web français

Le web est-il un outil de la démocratie ?

Story of a Storify

Rendez-vous le 26 avril pour une nouvelle nuit… d’amour forcément.

> Illustrations de t0ad pour Owni [cc-by-nc-sa]
Photos d’Ophelia Noor [cc-by-nc-sa]


Retrouvez le dossier autour de la #nuit-sujet :
Mathilde Serrell: OWNI – NOVA, Retour sur une première nuit d’amour
Pierre Alonso : Srdja Popovic communique la révolution

Tous nos articles sur les révolutions:

La Tunisie de l’ère Trabelsi/BenAli :http://bit.ly/trabelsi-tunisie

La Révolution Egyptienne : http://bit.ly/Egypte-Revolution

Zones d’ombres libyennes: http://bit.ly/libye-kadhafi

Médiatisation des révolutions: http://bit.ly/mediatisation-revolution

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Femmes et Révolutions http://owni.fr/2011/03/10/femmes-et-revolutions/ http://owni.fr/2011/03/10/femmes-et-revolutions/#comments Thu, 10 Mar 2011 12:26:37 +0000 Guillaume Mazeau http://owni.fr/?p=46872 Ndlr: Billet publié sur owni le 17 février 2011. Rendez-vous le 22 mars pour la Nuit-Sujet Owni/Radio Nova sur le thème “Dégage” autour de la mise en réseau du monde et de son impact politique global.

Basta Berlusconi !

Dimanche 13 février, des milliers d’Italiennes sont descendues dans la rue contre leur Premier ministre, dont l’interminable « saga priapique » renvoie une image virile du pouvoir et réduit les femmes à des objets sexuels.

Cette manifestation remet en cause les idées reçues sur la place des femmes dans la société européenne, mais pas seulement. S’inspirant des « Ben Ali, dégage ! » et des « Mubarak, dégage ! », criés depuis plusieurs semaines par les femmes tunisiennes et égyptiennes, les Italiennes démontrent que depuis quelques semaines, les modèles politiques et sociaux ne circulent plus dans le même sens par-delà les rives de la Méditerranée.
Les mouvements qui secouent la Tunisie, l’Egypte, l’Algérie mais aussi la Jordanie et le Yémen incitent à revoir les clichés occidentaux sur la sujétion des femmes dans les pays arabes.

Remise en cause de la domination masculine

Dans l’histoire, les crises, en particulier les guerres et les révolutions, ont souvent engendré une remise en cause de la domination masculine. La vague révolutionnaire qui secoua l’Atlantique il y a deux cents ans fut en grande partie animée par des femmes souvent privées de tout droit. Elles y gagnèrent un peu, espérèrent beaucoup mais virent la parenthèse se refermer après les premiers moments d’enthousiasme. Pour les femmes, les révolutions américaine et française du 18e siècle se finirent en queue de poisson.

Aux Etats-Unis, aucune des nouvelles constitutions d’Etat ne leur accorda le droit de vote, sauf au New Jersey… jusqu’en 1807.
En France, on voulut terminer la révolution en imposant une nouvelle barrière des sexes : après thermidor an II (juillet 1794), le citoyen modèle sur lequel on entendit reconstruire la société était le père de famille et le bon mari. Depuis quelques jours, certaines Egyptiennes paient le prix fort pour s’être, pendant quelques jours, émancipées des conventions sociales.

Certaines formes de mobilisation féminine du “printemps arabe” semblent révéler des invariants intemporels. Comme les Françaises des journées d’Octobre 1789, une partie des femmes du Maghreb se sont mobilisées contre le prix du pain. Comme les patriotes américaines qui rejoignaient les campements de l’armée révolutionnaire pendant la Guerre d’Indépendance entre 1775 et 1783, certaines Cairotes se sont employées à soigner les blessés de la place Tahrir.
Aux yeux des hommes, ces actions sont rassurantes : les femmes de tout temps et de tout pays sont ainsi réduites à des vertus nourricières et curatives, associées à l’ « éternelle » fonction maternelle.

De ce point de vue, ce qui se trame en Tunisie ou en Egypte est radicalement différent. Celles qui prennent la parole à Tunis, Le Caire, Suez ou Alexandrie, vivent certes sous le joug de la domination masculine. Mais elles ne sont pas les femmes du 18e siècle, qui étaient totalement privées de droits. N’en déplaise aux visions occidentales, les Tunisiennes et Egyptiennes ont vu leur statut lentement s’améliorer depuis les années 1920, en partie depuis les mobilisations féminines de la « première révolution » égyptienne de 1919.

Plus alphabétisées que les femmes du Siècle des Lumières, diplômées, plus politisées mais aussi plus intégrées à la société civile, beaucoup de maghrébines, encadrées par des associations comme l’Association des Femmes Démocrates en Tunisie ou inspirées par des avant-gardes comme Nawal El Saadawi en Egypte, ne défendent pas seulement leurs acquis. Elles revendiquent aussi le droit de participer à la vie civique et au débat politique.

Femmes et Islamisme

Faut-il voir en elles les chevaux de Troie de l’islamisme ? Le point de vue laïc et très franco-français aide aussi peu à comprendre le passé que le présent. Certes, des Vendéennes catholiques de la fin du 18e siècle aux manifestantes voilées de la place Tahrir, certaines femmes, très impliquées dans la religion et donc dans la vie sociale, se mobilisent parfois au nom de leur foi.
Pourtant, cela ne veut évidemment pas dire qu’elles ne défendent aucune opinion politique et qu’elles sont systématiquement manipulées par les « fous de Dieu ».

Comme l’indique le politologue Olivier Roy , l’évolution de la place des femmes au sein de la « société  post-islamiste » ne se réduit évidemment pas à un combat entre laïcité et intégrisme.
Si des milliers de Tunisiennes redoutent que leurs droits soient remis en cause par le retour du leader islamiste Ghannouchi, nombre d’entre elles entendent aussi pouvoir exprimer leur liberté de conscience sans subir le regard des autres lorsqu’elles portent le voile.

Jeunes ou âgées, qu’elles défilent en tête nue ou en hijab, les « Femmes du Caire », dont Yousry Nasrallah décrivait en 2010 les désirs d’émancipation dans un film engagé,ne peuvent donc être observées avec les clichés historiques ou sociaux que les experts occidentaux ont tendance à leur appliquer. C’est ce qui donne à leur mobilisation toute sa modernité.

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Publié initialement sur le blog Les lumières du siècle sous le titre : Femmes du Caire
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Crédits photos via Flickr [cc-by-nc-sa] 3arabawy, enseignantes et jeune femme sur Tahrir Square

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L’insoutenable légèreté des sentiments en politique http://owni.fr/2011/02/17/linsoutenable-legerete-des-sentiments-en-politique/ http://owni.fr/2011/02/17/linsoutenable-legerete-des-sentiments-en-politique/#comments Thu, 17 Feb 2011 07:30:12 +0000 Denis Colombi (Une heure de peine) http://owni.fr/?p=46948 Depuis que la révolte a commencé à gronder en Tunisie puis en Egypte et bientôt ailleurs, il s’est trouvé un nombre grandissant de personnes pour manifester leur solidarité avec les peuples en colère. En plus, ça tombe bien, l’indignation est à la mode, et chacun y va d’un drapeau tunisien comme avatar Facebook ou de son petit commentaire plein d’espoir pour une libération prochaine des peuples opprimés. Une telle solidarité internationale pour tous ceux qui subissent le joug de dictatures ferait chaud au coeur… si seulement son caractère essentiellement émotionnel et, par là, obligatoire ne lui promettait pas une bien brève existence. Obligatoires l’émotion et l’indignation ? Malheureusement, oui.

Des émotions obligatoires

Ce grand élan d’émotions et de sentiments de sympathie avec les peuples en lutte pourrait témoigner, au choix, de l’enracinement toujours profond de la démocratie et de la liberté dans le cœur des peuples occidentaux, de la perpétuelle “naissance” d’une société civile internationale et d’une solidarité mondiale entre les peuples, ou encore d’une solidarité internationale qui trouve son expression dans l’invitation à “marcher comme un égyptien”… Il y a pourtant de bonnes raisons de penser qu’il ne repose pas vraiment sur tout cela.

En effet, pouvons-nous ne pas ressentir cette émotion ? Pouvons-nous ne pas nous sentir solidaire de ceux qui souffrent ? La réponse est non. Nos émotions, quelles qu’elles soient, sont bien souvent obligatoires. C’est ce que disait Marcel Mauss en substance dans un texte de 1921 logiquement intitulé “L’Expression obligatoire des sentiments” :

Ce ne sont pas seulement les pleurs, mais toutes sortes d’expressions orales des sentiments qui sont essentiellement, non pas des phénomènes exclusivement psychologiques, ou physiologiques, mais des phénomènes sociaux, marqués éminemment du signe de la non-spontanéité, et de l’obligation la plus parfaite.

Si vous participez à un enterrement, même sans être intimement lié au défunt, peut-être même sans le connaître, vous serez sans doute saisi également de tristesse. Pourquoi cela ? Tout d’abord, parce que ne pas manifester ce sentiment, ce serait enfreindre les règles implicites de la situation. Essayez de vous mêler à un cortège funéraire et de sourire tout le long, vous comprendrez rapidement de quoi je veux parler. Une simple indifférence n’est pas non plus envisageable, du moins sans le risque de quelques sanctions de la part de vos voisins.

L’importance des agencements

Mais il y a autre chose : il ne s’agit pas seulement de manifester de façon ostensible sa tristesse. Bien souvent, le sentiment n’est pas seulement feint, et il est également très sincèrement ressenti. C’est qu’il repose non pas sur une disposition individuelle, une sensibilité particulière à la situation, mais bien à tout un dispositif extérieur à l’individu et qui s’impose à lui. L’organisation du cortège, la signification culturelle des vêtements noirs, l’attitude des différents acteurs en présence : c’est tout cela qui nous conduit à ressentir, y compris de façon très profonde, le sentiment adéquat à la situation. Il en va de même dans d’autres situations : même le snob le plus réfractaire aux hordes de supporters aura quelques difficultés à ne pas ressentir un petit frissonnement au beau milieu d’un stade, et, si j’en crois cette excellente BD qu’est Logicomix, même un pacifiste comme Russel n’a pu réfréner quelques sentiments guerriers lorsque, en 1914, son pays rentra dans la première Guerre Mondiale.

Il en va de même pour les sentiments qui nous saisissent face à la souffrance et à la révolte dans d’autres pays. Aussi sincère soit-elle – et je ne doute pas que ceux qui ont changé leur avatar Facebook avaient alors la larme à l’œil -, elle repose fondamentalement sur certains dispositifs qui nous amènent à ressentir l’émotion attendue. Le recours à des représentations collectives et puissantes, comme celle de la Marianne révolutionnaire, font partie de ceux-ci – voir cette brillante analyse. C’est très largement la façon dont on définit la situation qui nous conduit à ressentir enthousiasme, inquiétude, solidarité, etc.

Mais ces sentiments obligatoires n’ont dès lors qu’une permanence toute relative : si le dispositif qui les fait naître disparaît, ils sont promis au même sort. Réservés à des temps et des espaces sociaux particuliers, ils n’affectent pas l’ensemble de la vie des individus et, partant de là, n’entraînent pas forcément une mobilisation qui dépasse certains cadres bien définis et, surtout, certaines actions particulières. A savoir celles qui ont une visibilité suffisante pour que chacun voit combien on ressent l’émotion exigée. C’est bien ce que Marcel Mauss décrit dans son texte sur les rites funéraires australiens :

Et puis après cette explosion de chagrin et de colère, le camp, sauf peut-être quelques porteurs du deuil plus spécialement désignés, rentre dans le train-train de sa vie.

Il n’est pas étonnant que l’émotion et la solidarité prennent d’abord, dans le cas qui nous intéresse, des formes de manifestations publiques : le rassemblement, l’affichage envers les “amis” électroniques… Il faut montrer que l’on participe au mouvement. Une fois de plus, il ne s’agit pas de dire que ce sont là des pratiques purement ostentatoires, dénuées de toute sincérité et de toute authenticité. Au contraire, ceux et celles qui vont dans la rue sont sans doute on ne peut plus convaincus de ce qu’ils font – après tout, la pression sociale n’est pas si forte… Mais ce sentiment, enfermé dans une temporalité particulière, a peu de chances de déboucher sur des formes d’engagement plus marqusé. Une fois les autres dispositifs générateurs de sentiments disparus ou remplacés par d’autres inquiétudes, il n’en restera probablement pas grand chose.

L’effort d’indignation

En soi, ce n’est pas forcément dramatique. Les peuples tunisiens et égyptiens peuvent très bien s’en sortir sans cela. Les révolutions, si elles ont toujours provoqué des réactions dans les autres pays – en un sens, elles étaient globales bien avant que le mot ne soit à la mode -, se sont parfois passées du soutien extérieur, et plus encore d’un simple sentiment de bienveillance de la part des autres peuples. Mais le risque existe que, passé le moment où les dispositifs d’émotions sont les plus forts, c’est-à-dire la phase la plus “chaude” de l’activité révolutionnaire et protestataire, le détournement des sentiments étrangers privent ces pays de l’attention qu’ils méritent…

On peut aussi en tirer une leçon plus générale au moment où, suite au succès de l’opuscule de Stéphane Hessel, l’incitation à “s’indigner” fait florès. Non pas que l’indignation soit mauvaise, mais comme toute émotion, elle risque bien de reposer avant tout sur certains dispositifs, dont Stéphane Hessel lui-même et ses écrits font partie. Aussi sincère puisse-t-elle être, elle peut être d’une insoutenable légèreté, du moins si l’on veut qu’elle débouche sur quelques changements d’importances. Passé le moment le plus fort – par exemple si la colère parvient à emporter la tête d’une ministre – le “business as usual” risque fort de reprendre le dessus.

“Ne mettez pas tout vos espoirs dans les révolutions : elles finissent toujours par recommencer. C’est pour cela qu’on les appelle révolutions” dit Sam Vimes dans ce brillant roman qu’est Nigthwatch (ma traduction) : il est possible que personne n’ait mieux exprimé que cela que Terry Pratchett. On pourrait en dire autant de l’indignation, de l’émotion et des sentiments : ce ne sont là des armes politiques bien limitées tant dans leur durée que dans leur portée. Engagement et convictions… Il faudrait peut-être appeler aussi à cela.


Article initialement publié sur Une heure de peine
Illustrations CC FlickR: carac3, stuff_and_nonsense, life creations

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Gabon: la révolution silencieuse http://owni.fr/2011/02/16/gabon-la-revolution-silencieuse/ http://owni.fr/2011/02/16/gabon-la-revolution-silencieuse/#comments Wed, 16 Feb 2011 12:49:36 +0000 Ethan Zuckerman http://owni.fr/?p=46735 Cet article a été publié sur le blog Ethan Zuckerman le 9 février, avant la chute du régime d’Hosni Moubarak.

2011 a été une année remarquable faite de changements politiques rapides. Déclenchées par l’acte désespéré d’immolation de Mohamed Bouazizi, les manifestations de Sidi Bouzid, au centre du pays, se sont répandues dans tout le pays pour aboutir à l’impensable : mettre fin à vingt-trois ans de dictature.

Inspirés par les actions du peuple tunisien, les manifestants sont descendus dans les rues en Jordanie, au Yémen, en Algérie et même en Égypte où les manifestants occupent actuellement la place Tahrir au centre du Caire. Ils font pression sur Hosni Moubarak et demandent sa démission. Moubarak a déjà fait plusieurs concessions, et il semble clair que la politique égyptienne changera radicalement dans les prochains mois.

Cherchant à répondre préoccupations des manifestants, le roi de Jordanie Abdullah II a limogé son cabinet et ordonné la formation d’un nouveau gouvernement, pendant que Saleh, le président du Yémen, acceptait de donner sa démission pour 2013. Les médias de langue anglaise, pour la plupart, ont été lents à couvrir les manifestations tunisiennes. (Voir mon précédent post, “Et si la Tunisie faisait sa révolution, alors que personne ne regarde ?”).

Alors qu’il devenait évident que les manifestants poussaient Ben Ali à quitter le pouvoir, les réseaux ont rapidement rattrapé leur retard et mis en ligne des vidéos permettant de suivre en direct les évènements majeurs qui prenaient place à Tunis, au moment où l’armée est intervenue pour protéger les manifestants des forces de sécurité, exhortant Ben Ali vers la sortie.

Les révolutions sont médiagéniques

Les manifestations en Egypte se sont développées beaucoup plus rapidement que celles de Tunisie, avec des manifestations massives qui explosaient dans tout le pays le 25 janvier. Les médias du monde entier couvraient l’histoire de manière intensive dès le 28 janvier lorsqu’il est devenu évident que les manifestants ne respecteraient pas le couvre-feu imposé par le  gouvernement et continueraient à occuper le centre du Caire.

Al Jazeera, interdite de reportage en Tunisie, a été en mesure d’offrir une couverture 24h/24 et 7j/7 à partir de différents lieux dans toute l’Egypte, et de nombreux téléspectateurs américains se sont retrouvés absorbés par les reportages des évènements de la place Tahrir sur Al Jazeera en anglais, diffusés en streaming sur Internet avec des audiences record.

Egypte, Nasr City, le 29 janvier

Les autres chaînes d’infos se sont davantage tournées vers des perspectives historiques, se concentrant moins sur les événements du terrain que sur les questions de stabilité régionale et les conséquences sur la relations entre les États-Unis et Israël. Au total, la couverture dans les médias américains a été énorme pour une information de politique internationale. Le projet d’indice d’excellence en couverture journalistique (Excellence in Journalism’s News Coverage Index) a noté que cette histoire avait atteint 76% de parts sur la télévision par câble la première semaine de février. C’est l’information internationale la plus importante qu’ils aient repérée sur les quatre années de leur projet, et la quatrième plus grosse toutes catégories confondues sur cette période.

Il est facile de comprendre pourquoi les révolutions font de “la bonne télévision”. Elles sont la forme la plus visible de changements politiques à l’œuvre, et quand elles parviennent à remodeler des gouvernements auparavant jugés inattaquables, elles se transforment en un récit profondément captivant et plein d’espoir. Qu’une révolution ait lieu en Egypte, nation la plus peuplée du monde arabe et cœur culturel de la région, est particulièrement intéressant.

Mais toutes les révolutions ne bénéficient pas de ce niveau d’attention. Le Gabon, nation d’Afrique de l’ouest connaît une révolte populaire contre la domination d’Ali Bongo Ondimba, fils de l’inamovible homme fort Omar Bongo, et président depuis octobre 2009. Des milliers de partisans de l’opposition sont descendus dans les rues de capitale Libreville, ce 29 janvier et ont été confrontés à une répression violente des troupes d’Ali Bongo.

Les manifestations se sont étendues à d’autres villes, et la répression à leur encontre est devenue particulièrement féroce. Les manifestations qui étaient prévues les 5 et 8 février ont été réprimées aux gaz lacrymogènes. À ce stade, nous ignorons si les manifestants seront en mesure de continuer à faire pression sur le gouvernement, ou si la répression va conduire la révolte à devenir clandestine.

Dynastie Bongo

Les révoltes en Egypte et en Tunisie ont mis un coup de projecteur sur les régimes autocratiques historiquement corrompus. La possibilité de voir s’établir une dynastie Moubarak d’Hosni à Gamal n’a fait qu’entretenir le feu de la contestation en Egypte. Les Gabonais connaissent bien ce type de problèmes.

Omar Bongo est largement suspecté d’avoir systématiquement pillé les caisses de l’Etat à son profit personnel. Une plainte a été déposée par Transparency International en France contre les gouvernements du Gabon, du Congo et de Guinée équatoriale concernant les biens mal acquis alors que le sénat américain, dans un rapport de 1999, avait déjà établit le fait que Bongo avait déposé 8,5% du budget de l’Etat gabonais sur un compte personnel à la Citybank, soit un siphonnage des caisses de l’Etat de 100 millions de dollars entre 1985 et 1997. Après la mort de Bongo en 2009 dans un hôpital barcelonais, une élection contestée a fini par établir le fils Bongo comme nouveau leader du pays malgré des accusations de fraudes massives.

Il n’est donc pas surprenant que les supporters de l’opposition gabonaise aient regardé les évènements de Tunisie avec espoir et comme une éventuelle perspective d’avenir. On peut comprendre aussi que les manifestations au Gabon n’aient pas attiré l’attention de la communauté internationale. Le Gabon est une petite nation, avec une population de 1,5 millions d’habitants, et la plupart des lecteurs occasionnels de journaux auraient été incapables de le placer avec précision sur une carte.

Voitures brûlées à Atong Abè, Libreville, le 2 février

Cependant, ce manque d’attention a des conséquences. Alors que les manifestations prenaient place à Libreville, le leader de l’opposition André M’ba Obame – qui avait probablement gagné l’élection de 2009 – et ses conseillers se sont réfugiés dans l’enceinte du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), par peur de se faire arrêter par les forces d’Ali Bongo. Selon de récents posts sur Facebook, M’ba Obame et ses conseillers sont confrontés à la pression du PNUD pour évacuer les lieux, et ils ont déjà été obligés de céder leurs téléphones mobiles. Il parait peu probable que le PNUD prenne le risque d’expulser les leaders de l’opposition, qui seraient vraisemblablement immédiatement arrêtés, sachant que le monde les regarde. Or, il ne fait aucun doute que le monde ne regarde pas dans cette direction.

Recherchez “Gabon” dans Google News et vous trouverez que le seul reportage récent sur les manifestations est celui de Global Voices, où Julie Owono, une auteure camerounaise, suit les évènements de près. La version française de Google Actualités est à peine mieux, même si la couverture des évènements est dominée par des journaux locaux comme InfosGabon, et non par les principaux journaux et chaînes françaises.

Bien que nous soyons toujours heureux d’être en tête de la meute avec une histoire comme celle-ci, je vois un schéma embarrassant se dessiner dans la couverture des manifestations populaires autour du monde. Quelques révolutions sont facilement abordables et traitées dans la presse ; il était facile de prédire que les actions de la Révolution verte contre le gouvernement Ahmadinejad seraient reçues avec enthousiasme par les publics américain et européen. Un combat comme celui des chemises jaunes et rouges en Thailande est plus difficile à comprendre par les audiences, et il est moins évident de savoir quel camp bénéficiera de la solidarité des audiences intéressées aux Etats-Unis et en Europe. Enfin, des révolutions des pays lointains et peu connus comme Madagascar sont souvent totalement oubliées, même quand de profonds changements politiques sont à l’oeuvre.

Quand Rebecca MacKinnon et moi-même avons lancé Global Voices en 2004, nous cherchions explicitement à élargir notre couverture d’évènements comme les manifestations au Gabon. Nous pensions que la montée des médias citoyens signifierait que beaucoup plus de voix pourraient faire partie du dialogue des médias, et que les sièges de médias internationaux s’intéresseraient aux gens concernés directement par les évènements, à leurs témoignages et leurs points de vue.
Cela s’est avéré vrai : le mois dernier, notre rédaction a été inondée de demandes d’analyses et de commentaires sur les évènements de Tunisie et surtout ceux d’Egypte, par des médias du monde entier.

Global Voices a connu moins de réussite dans l’accomplissement d’un autre de nos objectifs : changer l’ordre du jour international des médias pour élargir notre couverture. En d’autres termes, nous sommes très bons pour attirer l’attention des différents commentateurs et observateurs sur des évènements que les principaux médias ont décidé de traiter. Mais nous avons eu peu d’opportunités de déplacer l’attention vers des sujets qui sont laissés de côté par le radar des médias, même quand nous avons pu fournir des témoignages et commentaires de terrain.

Notre responsabilité de témoigner

Place Tahrir le 29 janvier

Les technologies des nouveaux médias – pas seulement des médias en ligne, mais aussi la télévision par satellite, qui ont eu une importance cruciale dans la couverture des manifestations en Egypte et en Tunisie – promettent une couverture bien plus approfondie des évènements majeurs qu’avec les médias traditionnels. Je suis reconnaissant à Al Jazeera (en anglais) pour sa couverture exhaustive et continue des évènements égyptiens, et à mon ami Andy Carvin pour sa curation ininterrompue sur Twitter (1) des manifestations tunisiennes et égyptiennes.

Mais j’ai bien peur que ces technologies élargissent le spectre de sujets couverts à l’international, et il me semble que dans beaucoup de cas, nous n’en traitons qu’une portion très étroite, mais avec plus de profondeur. Le danger qui réside à ignorer cette révolution gabonaise ne tient pas simplement au fait que les forces de l’opposition seront arrêtées ou pire. Il tient au fait que nous échouons à comprendre que de profonds changements sont à l’oeuvre à travers le monde et qu’ils changent la nature même des révolutions populaires.

La vague de révoltes qui a enflé en Tunisie ne se cassera pas seulement sur le monde arabe mais sur un espace plus grand de notre planète.

Les actions courageuses de tunisiens lambda n’ont pas seulement captivé l’imagination de peuples subjugués dans le monde arabe, ils ont été partout, une inspiration pour des citoyens désinvestis de leur pouvoir.
Les medias sociaux donnent une voix aux révoltés de Sidi Bouzid et d’Alexandrie, mais pas à ceux de Libreville et de Port Gentil. Alors que les audiences du monde entier regardent avec étonnement les manifestants chrétiens et musulmans prier ensemble sur la place Tahrir, ils se demandent pourquoi les luttes au Gabon ne peuvent recevoir ne serait-ce qu’une fraction de cette attention.
Si l’inspiration qui mène à des révoltes populaires peut venir de n’importe où dans le monde, et que les outils pour couvrir ces luttes sont distribués à chaque personne munie d’un téléphone portable, ceux d’entre nous qui se tiennent loin de ces soulèvements doivent faire face à leur responsabilités.

Nous sommes mis à l’épreuve en étant témoins des luttes de ces peuples, qu’elles aient lieu ou pas dans des pays que nous connaissons déjà et dont nous avons peur. Nous sommes mis au défi de nous assurer que les régimes autoritaires n’écrasent pas les dissidences parce qu’ils savent que personne ne les regarde. De plus en plus, nous possédons les outils qui nous permettent de déplacer notre attention sur les changements révolutionnaires qui prennent place n’importe où dans le monde.
Reste à être à la hauteur de nos responsabilités.

(1) Andy Carvin est un pionnier dans l’organisation en ligne, le data journalisme et les médias sociaux. Il est actuellement senior strategist à la National Public Radio, où il aide la radio à développer ses stratégies numériques. Depuis le mois dernier, il est l’une des personnes les plus intéressantes à suivre sur Twitter. Il a en effet agrégé et édité de nombreux flux d’informations sur les manifestations en Tunisie et en Egypte

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Publié initialement sur le blog d’Ethan Zuckerman sous le titre Tunisia, Egypt, Gabon, our responsability to witness
Traduction : Ophelia Noor
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crédits photos via Flickr : Image de Une Huyguens [cc-by-nc-sa] Omar Bongo ; 3arabawy [cc-by-nc-] Tahrir sq le 29 janvier et Nasr City ; Via Global Voices Julie Owono [cc-by]

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