OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 #jdlm: Critique de la télé-réalité ou télé-réalité de la critique? http://owni.fr/2010/03/18/critique-de-la-tele-realite-ou-tele-realite-de-la-critique/ http://owni.fr/2010/03/18/critique-de-la-tele-realite-ou-tele-realite-de-la-critique/#comments Thu, 18 Mar 2010 12:15:19 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=10323 Faire un film de l’expérience de Milgram pour critiquer la télévision, tel était le projet de Christophe Nick avec Le Jeu de la Mort (France Télévisions, 2010). Un film étrange, qui met face à face deux fictions: La télévision, représentée par la figure caricaturale du jeu télévisé (assimilé, on ne sait pourquoi, à la télé-réalité, alors qu’il s’agit d’un programme d’un tout autre genre), vs LA science, incarnée par un professeur à barbe blanche, le psychologue Jean-Léon Beauvois, appuyée le rappel insistant de l’archive et sur une batterie de graphiques superbement designés.

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Que la télévision ait une influence sur les représentations et les comportements est a priori peu douteux, et la critique de l’obéissance aveugle, qui est au fondement de l’expérience de Milgram, apparaît comme une cause sympathique.

D’où vient alors le sentiment permanent de malaise distillé par le film? Au-delà de la manipulation des cobayes, et du paradoxe de produire une véritable situation de télé-réalité (autrement dit une mise en scène de la “vraie vie” avec des sujets consentants destinée à produire du spectacle), il y a me semble-t-il plusieurs erreurs de démonstration.

L’expérience de Milgram portait sur l’autorité. Or, sa transposition télévisée ne démontre pas l’existence d’une “autorité” télévisuelle, mais plutôt la soumission au dispositif. Pour avoir participé à plusieurs émissions de radio et quelques émissions de télévision, je peux témoigner qu’il existe une forte pression du dispositif. Une émission est une machine dont le déroulement réglé s’impose, non sans violence, au participant. Elle implique la mobilisation d’un appareillage coûteux, d’une équipe de plusieurs personnes, de locaux spécialement disposés réservés à cet effet, etc.

Bousculer ce dispositif, une fois qu’on a accepté d’y prendre part, n’est guère envisageable, et reviendrait approximativement à prendre les commandes d’un Boeing après le décollage. Au-delà de questions de légitimité ou d’autorité, il y a la simple réalité qu’un participant est toujours étranger au dispositif, dont il est un usager temporaire, et dont il n’est pas responsable.

Ces questions n’ont jamais été abordées pendant le documentaire, dont la doctrine revenait à poser que la lourde machine d’un jeu télévisé avec son public était équivalente à une expérience de psychologie réalisée dans des locaux universitaires. (Accessoirement, on peut noter que l’expérience de Milgram comporte elle aussi un dispositif non négligeable, dont l’influence n’a pas été prise en compte.)

La transposition brute de l’expérience de Milgram au contexte télévisé est un projet dont le fondement paraît des plus fragiles. Même en reprenant les catégories du film, je ne pense pas du tout que LA télévision a une autorité équivalente ou même comparable à celle de LA science (qui a en réalité des “autorités” très variables). Son influence – bien réelle – passe par l’imposition d’images et de récits, des systèmes de répétition et de normalisation plus élaborés et plus sournois que l’injonction d’avoir à se conformer à un protocole. N’importe quelle autre situation imposant à un quidam de s’asseoir aux commandes d’une machine lancée à pleine allure produirait un registre de réactions adaptatives semblables, qu’on soit à la télévision, dans une gare ou sur un chantier.

L’obéissance fait partie de la vie sociale, soit. La télévision – comme la presse, le cinéma, la radio… – est un de ces systèmes d’emprise par conformité au consensus général, sans conteste.

Qu’a montré à cet égard Le Jeu de la Mort? Rien de plus que l’idée reçue. Certainement pas le pouvoir de la normalisation par l’image, qui s’impose dans la durée, et dont l’Italie berlusconienne apporte aujourd’hui le plus triste témoignage (cf. Videocracy d’Eric Gandini).

Dans la France (de moins en moins) sarkozyste, un petit coup d’épingle critiquant la soumission à l’autorité ne peut pas faire de mal – et a certainement fait réfléchir Tania Young (mais pas Christophe Hondelatte).

Cela posé, plutôt que la démonstration annoncée, on n’a eu qu’un spectacle de plus.

Lire également:

> Jean-Léon Beauvois: Faire obéir les “participants” avec Milgram
> Rue89: Pourquoi “Le Jeu de la mort” ne dénonce pas grand chose

A voir :

> Obedience Studies, sur Vimeo

» Article initialement publié sur Culture Visuelle

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Ceci n’est pas une pipe (d’ailleurs on n’avale pas la fumée) http://owni.fr/2010/02/23/ceci-n%e2%80%99est-pas-une-pipe-d%e2%80%99ailleurs-on-n%e2%80%99avale-pas-la-fumee/ http://owni.fr/2010/02/23/ceci-n%e2%80%99est-pas-une-pipe-d%e2%80%99ailleurs-on-n%e2%80%99avale-pas-la-fumee/#comments Tue, 23 Feb 2010 18:03:35 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=8866 La dernière campagne de lutte contre le tabac chez les jeunes, commandée par l’association Droit des non-fumeurs et réalisée par BDDP & fils a fait… un tabac du bruit. Dans le dispositif, la vidéo est plutôt bien vue et fait passer un message fort en jouant sur la communication de crise, les déchets toxiques et la crédulité des jeunes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Là-dessus, peu à dire, c’est très efficace sur le plan des messages que de la scénographie, qui montre le cynisme et rajoute un peu de théorie du complot. Noirceur. Et un message fort : « Ne vous faites pas rouler par la cigarette ».

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C’est la partie affiche qui pose problème : elles présentent de jeunes personnes agenouillées devant un homme, cigarette aux lèvres et regard interrogateur, la main de l’homme posée sur la tête, dans une posture évoquant la fellation. La signature est : « Fumer c’est être l’esclave du tabac ».

Les réactions ont été vives, en voici un petit panorama :

- Familles de France (Christiane Therry) : « Mélanger l’addiction au tabac et le sexe est un raccourci ridicule et scandaleux » (+1)

- Enfance et Partage (Christiane Ruel) : « C’est cruel et déplacé. Les publicitaires ont-ils pensé à la réaction d’une victime de sévices sexuels face à cette affiche ? »

- Office français de prévention du tabagisme (Bertrand Dautzenberg) : « Cette campagne va choquer les adultes sans faire peur aux ados » (+1)

- Chiennes de garde (Florence Montreynaud) : « Cette image d’un vieil homme posant sa main sur la tête d’adolescents est insupportable »

- Mouvement de libération de la femme (Antoinette Fouque) : « A ma connaissance, pratiquer une fellation ne provoque pas de cancer » (+1)

On notera que personne n’a songé / osé interroger une association homosexuelle, alors que deux visuels sur trois montrent un jeune garçon dans la position incriminée.

Ce qui a choqué, c’est l’association imagée des deux actes : le tabac et le sexe, que récuse efficacement Antoinette Fouque.

Passons sur les déclarations de Gerard Aduro, qui ne voit dans ces images « aucune connotation sexuelle » mais simplement l’autorité et la soumission. Là, on se demande bien ce qu’il lui faut.

Passons également sur les explications de Marco de la Fuente sur la soumission docile, qui ne voit dans ces images aucune allusion à un acte forcé. L’ambigüité sur le viol tient à la main posée sur la tête, il aurait suffi de l’enlever pour que l’on soit dans la simple suggestion et non la contrainte. Rappelons qu’au regard de la loi, un viol est aggravé s’il est commis par un ascendant (père, beau père, grand père…), ou par une personne ayant autorité sur la victime (enseignant, moniteur…). Autant dire que de toute façon l’imagerie choisie par BDDP & fils est très vite à la frontière…

Pour Marco de la Fuente : « Dans l’imaginaire collectif, la fellation est le symbole parfait de la soumission ». Ah. Parce que ça peut se pratiquer à genoux ? Parce qu’en apparence un seul des participants (deux, trois, douze…) prend du plaisir ? Et pourquoi le cunnilingus n’est pas un acte de soumission, lui ? Le sexe oral serait-il asymétrique dans le rapport à l’autre ? La fellation comme symbole parfait de soumission, dans son imaginaire, sûrement, mais dans l’imaginaire collectif on demande à voir. Etude à l’appui. La soumission au pouvoir de l’image et de la publicité, en revanche, c’est étrange mais ça semble nettement plus crédible…

On peut utilement renvoyer à des réflexions plus poussées et plus documentées sur la fellation (références culturelles à l’appui). En renversant la perspective, c’est un acte d’abandon et de mise en faiblesse : ne se soumet pas forcément qui l’on croit…

En 2010, pareilles calembredaines ont de quoi faire bondir. C’est être bourré de préjugés : pratiquer la fellation peut tout à fait être un plaisir. C’est manquer d’imagination : on peut sucer assis, couché, lové, en faisant le poirier, à quatre pattes, attaché, on peut faire d’autres choses pendant (lire, se limer les ongles, s’en griller une, regarder un débat animé par Arlette Chabot…), on peut simuler le fait d’être forcé, et on n’a pas besoin de main pour être guidé quand on aime ça.

L’image d’une cigarette sans fumée, c’est un bien mauvais choix.

Enfin, ce qui est dangereux dans ce message, c’est la confusion. Une double confusion. Une grave confusion. Le message peut être compris d’une manière différente :

- La cigarette, c’est comme une bonne pipe, c’est cool et sympa, il suffit de s’y mettre. Bravo, c’est un beau contresens par rapport à l’objectif initialement visé.

- Le sexe, c’est comme le tabac, c’est toxique. Turlutu-tue. Le sexe qui se partage comme un acte d’amour, le sexe récréatif pour le plaisir et pour le plaisir de faire plaisir, le sexe furtif et marrant, ça n’existe pas ? Criminaliser le sexe est le meilleur moyen de saper les discours des associations sur la protection contre les infections sexuellement transmissibles. Si c’est mal, c’est tabou, si c’est tabou on ne peut plus en parler. Bravo bis. Comme si on n’avait pas déjà des publicités qui font passer le sexe pour un venin ou les séropositifs pour des criminels contre l’humanité.

Après tant de bêtises et d’énervement, on apprend finalement que tout ça c’était de la blague, que choquer était un moyen d’obtenir une couverture médiatique gratuitement. Et bien entendu, ces retombées polémiques seront analysées et transformées en équivalents publicitaires. Plusieurs services comme l’Argus de la Presse proposent cela, en convertissant l’espace médiatique occupé en argent : 1 minute au JT de 20 de TF1 équivaut à tant si cela avait été une publicité sur la même chaîne au même horaire ou à un horaire équivalent. BDDP pourra alors se vanter de l’argent ainsi économisé en achat d’espace publicitaire.

Sauf que… sauf qu’en attendant, l’association et l’agence passent pour les gens qui ont donné envie de régurgiter, en pratiquant l’amalgame catastrophique, les déclarations caricaturales. En attendant leur e-réputation sera durablement entachée de toutes les réactions et de toutes les idioties au premier degré qu’ils auront semé ici et là, et qui auront été repris ici et là. Ceux qui feront une recherche tomberont-ils en premier sur leurs simagrées ou sur le correctif ? S’ils tombent sur leurs crétineries, iront-ils plus loin où en resteront-ils à la première impression ? Mentir pour la bonne cause, ça jette le doute sur tout le reste.

Pareil cynisme les rabaisse au même niveau que les industriels du tabac qu’ils entendaient dénoncer.

Et ça, ça mérite bien une taffe baffe.

[Enikao]

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