Soutien de la presse: victoire au Parlement?

Le 6 mai 2010

Existe-t-il une concordance entre le soutien que les journaux apportent aux partis politiques britanniques, rapporté à leur diffusion, et l'issue du vote ? Voici une réponse en infographie, élaborée à partir des données fournies par le Data Blog du Guardian.

La principale info des derniers jours a été la fin du soutien du tabloïd The Sun aux travaillistes britanniques en faveur des conservateurs. Au milieu d’une campagne à couteaux tirés, le retournement de veste du quotidien le plus vendu du pays ne pouvait que relancer les spéculations.

Le Sun, une dilettante anglaise.

Sans parler de causalité pour l’instant, les données montrent que le parti soutenu par le Sun a toujours remporté les élections depuis les années 1970. Cela ne fait rien, a répondu le vice-secrétaire général des travaillistes, Harriet Harman, qui ne croit pas à l’influence des journaux dans les urnes : « Nous ne nous laisserons pas intimider. Ce vieux perdant tente un retour en force. » Après tout, seul dans l’isoloir, l’électeur décide en son âme et conscience, sans le regard inquisiteur d’un rédacteur en chef.

Alors, les magnats des médias ont-ils réellement une influence sur le vote populaire ? Un journal peut-il modifier le cours d’une élection de manière significative ? Ou bien ne fait-il que suivre les opinions de ses lecteurs ? Cette question reste au centre de la compréhension de la politique et elle requiert une analyse profonde que ces visualisations ne prétendent pas atteindre. Nous avons simplement essayé de mettre côte à côte les quotidiens et les partis qu’ils ont soutenus.

Toutes les données ont été fournies par l’excellent Datablog du Guardian. Comme d’habitude, les données permettent d’éclairer de manière nouvelle un problème récurrent. La base de données est ici.

Cette année, la grande majorité des journaux soutient les conservateurs. À l’heure d’aujourd’hui, le seul quotidien à soutenir les travaillistes reste le Daily Mirror. Ce qui, vu sa circulation actuelle, ne risque pas de changer grand-chose.

Le Daily Mirror dans le rouge.

Dans le même temps, de nombreux quotidiens ont changé leur fusil d’épaule et soutiennent les conservateurs. Au premier rang desquels on trouve le Sun et le Times, qui appartiennent tous deux à la News Corp. Les titres de Murdoch ont abandonné leur soutien traditionnel aux travaillistes, permettant ainsi aux conservateurs d’augmenter considérablement leur exposition médiatique. Le soutien du Telegraph, de l’Express et du Daily Mail aux conservateurs est inchangé.

Le Telegraph et le Times ensemble pour les conservateurs

A la suite de la gaffe de Gordon Brown, qui a traité une sympathisante de ‘bigote’, le Guardian a également déserté le camp sortant. Dans son dernier éditorial, le journal affirmait que le moment du parti Libéral-Démocrate était venu, le soutenant du même coup.

Le parti de Nick Clegg bénéficie d’un soutient toujours plus grand de la part des médias. Le premier débat télévisé est largement considéré comme ayant donné aux Lib Dem une place de choix, empêchant ainsi les conservateurs de viser une large majorité. Dans le passé, le parti aux couleurs jaunes n’a que rarement été soutenu par les médias. Souvent mis à l’écart par les éditos des grands quotidiens, il était considéré comme le ‘parti invisible’, pour paraphraser l’éditorialiste du Guardian David Yelland. Le Lib Dem a obtenu plus de 22% des suffrages lors des élections de 2005, un score qui ne peut pas passer inaperçu. Pourtant, ils n’ont pas pu obtenir plus de 62 sièges sur les 646 que compte la Chambre des Communes. Au-delà d’un manque de soutien dans les médias, l’explication tient au système bipartite installé au Royaume-Uni. C’est pourquoi Clegg voit cette année une énorme opportunité de réformer le système en y introduisant une dose de proportionnelle.

Le Lib Dem intéresse enfin un journal.

En gardant ce problème à l’esprit, on s’aperçoit que seules six des dix-sept dernières élections (depuis 1945) ont été gagnées par un parti qui n’avait pas le soutient d’une majorité des journaux. Les données sont ici.

Sur les trente dernières années, la corrélation entre le soutien du principal quotidien et le résultat d’une élection s’est renforcée. Les données sont là.

Malgré tout, ce qui est écrit dans les colonnes d’un journal ne peut pas être comparé avec ce qui se passe dans l’isoloir. Le vote est l’affaire des citoyens, pas des journaux, je l’admets. C’est pourquoi il nous faut analyser la répartition du vote des lecteurs selon la ligne éditoriale adoptée par leurs journaux. Heureusement, il apparait que les lecteurs sont capables de développer leur propre esprit critique et qu’ils ne suivent pas toujours l’avis de leur journal en allant voter.

Retrouvez les données ici.

Epilogue.

Cher Datablog du Guardian,

Nous avons répondu à ton invitation et essayé de créer la visualisation la plus complète de la base de données que vous avez fournie. Les journaux reflètent-ils où déterminent-ils les choix politiques de leurs lecteurs ? La question reste ouverte.

Dans ce cas particulier, les données empiriques les plus fines ne pourraient pas expliquer la complexité des interactions sociologiques à l’origine du soutien politique. Dans cette perspective, il serait fascinant d’analyser les changements d’opinion des journaux en fonction du taux de chômage ou de l’inflation. En d’autres termes, donne-nous plus de données, qu’on puisse continuer à jouer !

Billet initialement publié en anglais sur le blog Datanamics sous le titre It’s the media wot swung it, officer, traduction Nicolas Kayser-Bril

Image CC Flickr by Mylor ; image de grande une themattharris

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