iPad: ce qu’en pense la soucoupe

Le 19 mai 2010

Les médias ont très vite vu dans l'iPad un moyen miraculeux pour sortir du marasme dans lequel ils sont enferrés. C'est pourtant bien loin d'être le cas et beaucoup de travail reste à fournir. Revue des points de vue exprimés sur la soucoupe.

Alors que la nouvelle tablette d’Apple sort dans les prochains jours dans l’hexagone et un peu partout dans le monde, la soucoupe a décidé de fouiller dans ses archives et d’en exhumer les avis, réactions et analyses de ses auteurs à propos de l’iPad. Avec un même message: si l’objet est fascinant et innovant, le chemin vers la révolution annoncée est encore long et plein d’embûches.

Dès l’annonce de son lancement, on attendait – peut-être à tort – un produit fondamentalement nouveau et révolutionnaire. Sauf que…

L’iPad est le chainon manquant entre l’iPhone et le MacBook. Regardez bien la robe de la bête et son OS : tout est un subtil mélange des deux mondes. En fait, c’est un MacBook Air tactile sans clavier, utilisant l’iPhone OS et s’étant acoquiné avec un cadre photo Parrot. Un peu expéditif, mais quand vous y réfléchissez… En fait l’iPad se positionne entre l’iPod et l’Apple TV : un exceptionnel lecteur de contenus visuels (comme l’iPod) avec une logique de catalogue comme dans la set-top box de la Pomme, le tout ne pouvant se passer d’un ordinateur. Le cordon ombilical n’a pas encore été coupé. Raté. Ou pas, justement, c’est peut-être là une clé de lecture intéressante sur l’usage de ces tablettes, une sorte d’hybride fermé pouvant vivre seul mais pouvant aussi se relier à un monde “ouvert”, celui de l’informatique traditionnelle.

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En fait, il ne devait pas y avoir de surprise. Logiquement, l’iPad est ce qu’elle devait être : le meilleur de tout ce qui a bien marqué pour la Pomme ces dernières années. Un modèle économique éprouvé (les Stores), un design simple et raffiné (aluminium, plastique laqué, courbes biseautées), du tactile du bout des doigts, une suite logicielle made in Cupertino. Aucune surprise. Et pour cause donc ! La figure de style était tellement casse-gueule qu’il fallait au contraire bétonner le concepts et capitaliser sur les 75 millions de personnes qui ont eu un iPhone ou un iPod Touch dans les mains.

D’où l’iPad. Et notre déception de geek qui attendait de St Steve la révélation ultime : pas de multitâche, pas de caméra, pas de micro, pas d’USB, pas de lecteur SD, un écran 4/3 (idéal pour la HD voyons !), pas de sortie video HDMI… Et une interface pompée sur l’iPhone avec un soupçon de MacOS pour la forme. Pas Peu de nouvelles gestures, ou d’interface 3D avec capteurs sensitifs comme les brevets d’Apple pouvaient nous le faire croire.

Damien Douani

Les patrons de presse ont immédiatement vu dans la tablette le salut tant attendu qui allait leur permettre de monétiser leur contenu en ligne. On en a même entendu dire que le cauchemar du net était passé et qu’on allait pouvoir faire comme avant. On peut s’amuser de cet enthousiasme naïf…

Apple a annoncé l’iPad et la presse s’est mise à rêver pour elle-même des modèles économiques de l’App Store. On pourra revendre des pages web comme on vendait jadis des journaux. On va pouvoir faire de l’Internet payant, ajouter de la valeur à nos rédactions, à tous ces fainéants qui composent nos rédactions. On va les appeler journalistes globaux. On les payera au papier et ce papier on le poussera sur tous les médias payants. One fits for all. Qu’importe si l’info qu’on relaie est strictement la même que celle du voisin branché lui aussi sur l’AFP, qu’importe si, de fait, de journal d’opinion on est surtout devenu une entreprise avec un comptable et des comptes de résultats, des familles et des bouches à nourrir.

L’App Store appliqué à la presse serait la panacée. Le Graal. Comme les copains des maisons de disques, on n’aura pas à se poser la question de notre valeur ajoutée, de notre mode de fonctionnement, de notre utilité ou du rôle de notre métier dans un monde qui va généralement plus vite que notre structure à l’ancienne. L’information va redevenir payante, youpiiiii les gens seront prêts à acheter le bousin et nous à repartir comme en 40 euh non, comme en 45. Restera juste à fustiger un peu ces cons de blogueurs et prédire leur mort annoncée. Ils l’ont déjà fait ?

Emgenius

Quelques privilégiés ont pu avoir la tablette entre les mains dès sa sortie. Il ne leur a pas fallu longtemps pour se rendre compte que si l’iPad est indubitablement un objet passionnant, il n’en est pas nécessairement la “planche de salut” de la presse en ligne.

Premier constat, après de nombreuses heures de prise en main : l’iPad ne va pas sauver la presse écrite.

L’idée que la sortie d’un e-book allait brutalement changer les usages, c’est-à-dire faire oublier aux lecteurs quinze ans de navigation libre sur le web pour revenir au format traditionnel du magazine dans le même environnement fermé que jadis, était évidemment naïve.

Benoît Raphaël

Et les auteurs de la soucoupe de souligner les innovations nécessaires pour accompagner le lancement de ce nouvel outil:

C’est clair, “Wired” montre la voie au reste de la presse ! Il n’y a plus qu’à… Sans tomber dans l’excès et voir dans l’iPad LA solution miraculeuse à tous les maux qui se sont abattus sur la presse comme les dix plaies d’Egypte, cette fameuse tablette est une opportunité sans précédent de construire enfin un modèle “online” économique viable. Pour ce faire, journaux et magazines devront passer sous les fourches caudines d’Apple qui prélèvera sa dîme sur chaque édition téléchargée sur l’iPad : sans doute dix à vingt centimes pour un numéro vendu, mettons 99 centimes d’euros. La firme à la pomme ne va évidemment pas se priver de répliquer le modèle “win-win” qu’elle a imposée à l’industrie du disque avec son magasin iTunes.

De toute façon, la presse qui voit aujourd’hui ses ventes papier et ses recettes publicitaires fondre comme neige au soleil n’a pas vraiment le choix. Car le lecteur du XXIème siècle sera numérique. Ou ne sera pas. Et malgré la culture “open bar” qui s’est imposée sur internet dans les années 2000, il est sans doute prêt à payer pour l’info si son journal lui en donne plus pour son argent. C’est clair : les journaux doivent expérimenter dès à présent de nouvelles formes d’”hyper-journalisme” adaptées aux nouveaux terminaux à écran tactile en proposant des contenus imbriquant étroitement articles soignés, infographies et illustrations animées, son et vidéo… Ils doivent surtout investir massivement dans le développement d’applications dédiées à l’iPad mais aussi à tous les écrans que la technologie mettra demain à la disposition du consommateur. Savez-vous combien a coûté la nouvelle imprimerie ultra-moderne du “Figaro” à Tremblay ? 70 millions d’euros ! A ce prix là, on peut en faire quelques uns des journaux 2.0.

J.-C. Feraud

Reste maintenant aux éditeurs et producteurs de contenus (journaux, magazines, livres, films..) à s’adapter et à profiter de ce nouveau mode d’accès. S’adapter ne voulant pas dire, refaire l’erreur des années 90 sur le web 1.0, c’est- à-dire injecter, sans modification, leurs contenus existants dans l’iPad…

A cette condition (une nouvelle valeur ajoutée adaptée), la tablette pourra remettre du payant dans le numérique, notamment en raison de la mobilité. Grâce à beaucoup de contextualisation et d’enrichissement de la lecture, du visionnage, de la documentation…

Aux producteurs d’inventer les contenus de demain et les liens entre ces contenus et les réseaux sociaux. D’ores et déjà, le New York Times, déjà présent sur l’iPad, a indiqué avoir créé un département spécial dédié aux applications « readers ».

Les magazines, pour qui le design et le confort de lecture sont clé pour attirer les lecteurs, vont devoir travailler dur.

Restera encore à voir, bien sûr, les conditions d’accès données par Apple aux lecteurs et la clé de répartition des revenus. Car on sait comment iTunes a déjà déstabilisé la musique et fait d’Apple le 1er distributeur mondial.

En tous cas, Apple a signalé qu’il entendait désormais jouer un rôle de premier plan dans l’éducation, l’édition (iBooks) qu’il risque aussi de complètement bouleverser.

Eric Scherer

Les médias traditionnels, presse papier et audiovisuel, qui s’empresseront de pousser leur contenu tel quel sur l’iPad seront fort déçus. Le packaging devra être revu sous peine de non-recevoir de la part des usagers. Une interface agréable, comme pour les magazines. C’est que les gens achèteront. Le contenu brut, sans valeur ajoutée, porté tel quel sur l’iPad, comme le contenu qui l’a été jadis sur le web, n’aura pas de valeur.

Ce qui aura de la valeur, comme le suggère Benoît Raphaël, c’est l’hyperconnectivité, les réseaux sociaux et l’interconnexion des datas.

Martin Lessard

De vous à nous, la nouvelle version de la soucoupe accueille désormais plus de visiteurs sur iPad que sous iPhone. Mode passagère ou conséquence logique d’un choix d’interface, de design et d’ergonomie ?

Comme on est un peu claustro sur OWNI, plutôt qu’une application iPad, c’est un site entier que l’on a imaginé vous proposer. Après tout, la navigation sur cet iPhone géant n’est-elle pas plus agréable directement sur les sites Internet ? On vous le confie ici : on n’est peu tenté par un retour au CD-Rom à la soucoupe, alors on tatonne, on tente d’innover, mais à notre façon, en open-source et en CC, en artisans de l’intérêt public. En toute sincérité, nous nous sommes dit que ce bon vieil Internet-là n’était pas tout à fait mort. Pire, il bouge encore.

Naviguez, naviguons, surfons. Un jour disent-ils, Internet ne sera plus – il sera partout et tout le temps, dans le meilleur ou le pire des cas – et un autre jour, bien plus proche, le navigateur aura laissé la place à d’autres usages. Ils sont nombreux les gourous à le prédire. Et sans doute à raison. Mais en est-on là ? Et vous ?

Nicolas Voisin

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Crédit Photo Flickr: ntr23.

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