Projet Binôme: quand la Science inspire le théatre

Le 20 mai 2011

Quand des auteurs de théâtre contemporain rencontrent des chercheurs, ça donne Binôme, une expérience étonnante.

Curieux spectacle à la Cité des sciences ce 15 avril : un tête-à-tête amusant entre un chercheur et un auteur de théâtre contemporain qui discutent de bactéries et de cellules tumorales. A quelques pas, le regard indiscret d’une caméra n’en perd pas une miette. Immersion au cœur du projet « Binôme » d’Universcience, qui tend à prouver que l’alliance des arts et de la science n’a rien d’une ineptie.

« Bip-bip est arrivé ! » Clins d’œil complices entre Eve Ducroq, chargée du projet Binôme à Universcience, et le créateur du projet Thibault Rossigneux. Un drôle de manège se prépare à la Cité des sciences…

Pas de temps à perdre, l’opération doit être rapide. Les objectifs des caméras sont pointés vers un décor… un peu particulier : une petite table, deux chaises, un paperboard et une paillasse en arrière-plan où s’agitent des souris en cage sous le regard désabusé d’un mouton empaillé. Un univers en apparence austère, réchauffé par la bonne humeur générale. Il ne manque plus que les principaux protagonistes… Le scénario ? Celui d’une rencontre improbable entre un auteur de théâtre contemporain et un scientifique.

La scène se déroule dans l’espace d’exposition « Les Hommes et les gènes ». Là, un électron s’agite au travers des allées : c’est l’énergique Thibault Rossigneux, directeur artistique de la compagnie Les sens des mots. C’est la seconde édition de Binôme et pourtant, toujours autant d’enthousiasme. Il faut dire que ce projet, il en a tracé les contours, et peut maintenant se prévaloir d’un joli succès.

Découverte… discussion… écriture… lecture… représentation

Grégoire Harel, qui est en charge du programme arts-sciences d’Universcience, souhaitait développer un projet original au carrefour des arts et de la culture scientifique. Et là, j’ai eu un flash ! se souvient Thibault.

Les idées s’assemblent en un canevas étonnant. Première étape : l’échange entre le chercheur et le dramaturge qui se découvrent sous l’œil complice de la caméra. Puis vient l’écriture d’une pièce de théâtre par l’auteur à partir des propos recueillis et la réaction du scientifique prise sur le vif à la découverte de l’œuvre. Bouquet final : la représentation publique. Présente tout au long du processus, la caméra offre un making of de l’aventure, visible sur universcience.tv. Le public a ainsi accès aux racines de l’œuvre : une complicité, une découverte ou un joli mot échangé.

Entre la proposition théâtrale, le débat de société et la production audiovisuelle, Binôme est un être hybride porté par Universcience, la compagnie Les sens des mots et le Centre national du théâtre (CNT). « Le théâtre et la science ne se sont séparés que récemment, explique Thibault. Les plus grands savants étaient auparavant les meilleurs orateurs ». Binôme incarne cette volonté de supprimer la rupture entre la culture scientifique et les autres domaines culturels.

En 2010, cinq pièces ont été présentées, drôles, touchantes, farfelues… à l’image des binômes. Le casting de cette année promet d’être tout aussi survolté. Pour les chercheurs, c’est Universcience et ses partenaires comme l’Inserm ou l’IRD qui se chargent de la sélection en privilégiant la recherche fondamentale. Thibault et le CNT s’occupent quant à eux des dramaturges. Tiens, c’est justement l’auteur qui arrive…

Tournez manège

Loin de son terrain habituel, Scali Delpeyrat – alias bip-bip – avance timidement dans cette réplique de laboratoire. Il scrute le décor ; son visage s’illumine : « Je suis enchanté d’être dans cet espace. Il éveille mon imagination ». Lui qui travaille depuis plus d’un an sur un projet de pièce retraçant la vie de Darwin, il n’aurait pas pu mieux tomber. Mais la visite sera pour plus tard. Direction l’étrange couloir des miroirs pour une présentation rapide devant la caméra. Fou rire nerveux et dérision ponctueront ses réponses et un humble aveu : « Je suis sincèrement flatté d’avoir été choisi ».

Confidences dans la boite, l’équipe éloigne habilement Scali Delpeyrat pour laisser place au chercheur. Car là est tout le comique de situation : ils ne doivent en aucun cas se croiser avant la rencontre officielle. En attendant, c’est bip-bip pour nom de code, et rien de plus. Est-il jeune ? Drôle ? Bavard ? Chacun devra être patient.

Arrive enfin le… la chercheuse ! Karin Tarte de l’Inserm, jeune femme à l’énergie débordante dont le rire communicatif éveille la Cité tout entière. Même protocole que son homologue… et même angoisse : « Je ne sais pas ce que je fais là » ironise-t-elle face à la caméra. Scali, s’agite de son côté : longue expiration, quelques vers récités à haute voix… tout est bon pour calmer le trac. Une scène qui amuse toute l’équipe, certaine que la rencontre sera réussie aux vues de ces deux tempéraments. Mais pour l’instant, chut…

Eve Ducroq fait un signe à Thibault. « Très bien. Maintenant, plus un mot, souffle le metteur en scène à la chercheuse en la conduisant vers le point de rencontre. Il ne doit pas savoir que tu es une femme. » L’auteur est à quelques mètres… « Je veux garder le suspens jusqu’au bout ». Véritable dédale, l’espace offre le parfait terrain de jeu pour éviter tout croisement.

Les voilà l’un en face de l’autre. Ils se jaugent, se sourient et s’approchent pour échanger quelques mots sous l’arche d’entrée de « L’homme et les gènes ». Un peu plus loin, les yeux indiscrets de l’équipe et de la caméra.

50 minutes d’échanges et 2 mois d’écriture

Enfin installés derrière la petite table, c’est parti pour cinquante minutes d’entretien filmé. Devant eux, deux réveils, un noir, un blanc, qui sonneront en cœur la fin de l’échange. Scali va lui poser une vingtaine de questions, allant de son sujet de recherche – l’immunologie – à sa vision du monde scientifique, en passant par son parcours. Autant de matière dans laquelle l’auteur pourra puiser afin de concevoir une œuvre originale. L’échange est rythmé, passionné, « presque un sketch » souffle Thibault. La sonnerie retentit, faisant bondir l’écrivain : « Oh non, pas déjà ! ».

« Maintenant, plus de contact entre vous ». C’est la règle : aucun échange entre le scientifique et l’auteur avant la remise du texte. Scali a maintenant deux mois pour imaginer une œuvre d’une demi-heure pour trois voix. Tout peut être imaginé. L’an passé, les œuvres ont exploré différentes approches :
Emmanuel Bourdieu
est directement entré dans le sujet du chercheur en contant la triste histoire du petit neutrino ;


</p> <h2>Binôme #2</h2> <p> <p><em>Making of</em> à ne pas rater de la pièce d&#8217;Emmanuel Bourdieu, réalisateur et dramaturge, issue de sa rencontre avec François Vannucci, enseignant chercheur de l&#8217;Institut national de physique nucléaire et de physique des particules.</p> </p> <p>

Christian Siméon, lui, s’est inspiré d’un seul mot lancé par le scientifique, Tropopause – ligne de séparation entre deux couches de l’atmosphère – pour réadapter l’œuvre du Petit Prince ;


</p> <h2>Binôme #5</h2> <p> <p>Making off de la pièce <em>Tropopause</em> du sculpteur et auteur dramatique Christian Siméon, issue de sa rencontre avec le climatologue Ronan James.</p> </p> <p>

Confession d’un passé douloureux avec la science d’Élizabeth Mazev, dont la rencontre a « réveillé de vieux démons » ;


</p> <h2>Binôme #3</h2> <p> <p>Making of de la pièce <em>Sympatrie </em>d&#8217;Elisabeth Mazev, issue de sa rencontre avec l&#8217;entomologiste Romain Nattier du Muséum national d&#8217;histoire naturelle.</p> </p> <p>

Parallèle très recherché entre Nirvana et la maladie de Parkinson par Sonia Chiambretto ;


</p> <h2>Binôme #4</h2> <p> <p>Making of de la pièce <em>Parking song </em>de Sonia Chambretto, issue de sa rencontre avec Arthur Leblois, neurologue au laboratoire de neurophysique et physiologie à l&#8217;université Paris V.</p> </p> <p>

David Lescot a quant à lui surpris tout le public en rejouant avec humour la rencontre avec le chercheur.


</p> <h2>Binôme #1</h2> <p> <p>&#8220;Moi, j&#8217;utilise la lumière comme source d&#8217;excitation de la matière&#8221;. <em>Making of</em> à ne pas rater de la pièce de l&#8217;auteur contemporain David Lescot, issue de sa rencontre avec Valia Voliotis, chercheuse à l&#8217;Institut des Nanosciences de Paris, présentée le 21 octobre 2010 au <a title="Palais de découverte" href="http://petitlien.fr/56bs" target="_blank">Palais de la découverte</a> (accès gratuit).</p> </p> <p>

Certains reprocheraient le survol du sujet. Binôme n’a pas pour ambition de produire des pièces de vulgarisation scientifique. Le but, alors ? Utiliser la science comme matière de création artistique et révéler les similitudes entre ces deux mondes. L’une des plus évidentes : la passion.

Montée sur les planches

Après Scali et Karin, quatre binômes se succèderont en trois journées. Les profils sélectionnés sont variés, s’attachant à « respecter la parité » et croiser les générations : Stéphanie Marchais, Virginie Thirion, Gérard Watkins, Mathieu Bertholet du côté des auteurs ; Edmond Dounias (IRD), Nicole El Karoui (Université Paris VI), Charles Lecellier (CNRS), et Patrick Martin (Institut Royal de Sciences Naturelles de Belgique) pour les scientifiques. De leur complicité naîtra une série de créations : une histoire imaginée par le dramaturge, une mise en scène proposée par un collectif de metteurs en scène et de comédiens, et les créations musicales de compositeurs qui habilleront la pièce.

Le spectacle se décompose à chaque fois en quatre temps : une courte vidéo de présentation du projet, un extrait de l’entretien – instant de pronostiques pour le spectateur sur le parti pris de l’auteur, la mise en lecture de la pièce, la projection de la réaction du chercheur en découvrant le texte et enfin un échange entre le public et les deux personnages, souvent émus. Ils en ont bien conscience : ce type d’expérience, on ne le vit pas tous les jours.

Pour cette année encore, les pièces seront présentées lors du Festival d’Avignon qui aura lieu du 15 au 20 juillet, puis à la Cité des sciences et au Palais de la découverte en novembre prochain. Thibaut confie avoir eu très peur l’année passée : « Le Festival d’Avignon, c’est une centaine d’œuvres de qualité qui se jouent au même moment. Je craignais le flop ». Loin de là ! De représentation en représentation, le succès a été exponentiel. Même triomphe à la Cité des sciences : sept cents curieux se sont déplacés. Quid de la prochaine édition ?

Les représentations ne s’arrêtent pas à la Cité. « Les pièces de la première édition tourneront par deux dans plusieurs villes de France ». Universcience envisage aussi d’autres formes de diffusion des pièces, à la fois numérique et papier. Si le succès de l’édition 2011 est au rendez-vous, Binôme 2012 pourrait explorer de nouveaux champs artistiques « comme la littérature par exemple », et faire la part belle aux pays francophones en « associant des auteurs et chercheurs canadiens, suisses ou africains ».


Article publié initialement sur le blog de Knowtex

Illustrations : Photographies réalisées par Paul Allain © Universcience / Les sens des mots

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