Les vilains terroristes se rebellent

Le 16 mars 2012

Les affaires de Tarnac et d'Adlène Hicheur, ce physicien du Cern accusé d'être un terroriste islamiste, ont un point commun. Elles illustrent une dérive de l'antiterrorisme, selon les participants d'une conférence de presse organisée jeudi par la Ligue des droits de l'homme. Deux dossiers dans lesquels des services tels que la DCRI ont fabriqué des "terroristes" bien présentables, sans trop se soucier parfois de la réalité des faits.

À priori, les deux affaires ne se ressemblent pas. D’un côté, deux mis en examen dans l’affaire de Tarnac. Militants de “l’ultra-gauche”, “anarcho-autonomes” selon les mots de Michèle Alliot-Marie alors ministre de l’Intérieur, ils sont arrêtés en novembre 2008, soupçonnés de sabotage de lignes TGV.

De l’autre, Adlène Hicheur, physicien au du Cern, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire. Accusé d’avoir projeté des attentats en France en lien avec Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), il est interpelé le 8 octobre 2009 et maintenu en détention provisoire depuis.

Tarnac Production

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Entre les deux affaires, un dénominateur commun : “la fabrication de parfaits terroristes, une dérive de l’antiterrorisme”, ont affirmé les intervenants de la conférence de presse qui s’est tenue jeudi matin à la Ligue des droits de l’homme. Elle réunissait avocats et groupes de soutiens des deux affaires.

Une différence de taille les sépare. Les inculpés de Tarnac bénéficient aujourd’hui d’un relatif capital de sympathie. Adlène Hicheur pâtit au contraire de la “circonstance aggravante de ne pas être blanc” selon l’un des mis en examen de Tarnac qui a contacté Halim Hicheur, le frère ainé d’Adlène, après la publication d’une tribune.

Intelligents

Pour l’un des avocats des mis en examen de Tarnac, Jérémie Assous, la personnalité de ses clients a contribué à faire changer le point de vue de l’opinion :

Il s’agit de jeunes gens intelligents, blancs, issus de la classe moyenne, certains ont fait des études brillantes. Ils maitrisent la prise de parole publique. Une identification est possible pour les journalistes et le public.

À titre d’exemple, il cite la libération de Julien Coupat intervenue quelques jours après une longue interview parue dans Le Monde. Mathieu Burnel, arrêté en novembre 2008 dénonce la logique de l’antiterrorisme qui fonctionne comme une histoire, au lieu de reposer sur des éléments matériels. Dans cette mise en récit, “le pouvoir médiatique se fait l’adjoint des pouvoirs policier et politique” critique Benjamin Rosoux, l’autre inculpé de Tarnac présent à la conférence de presse de jeudi.

Me Assous explique cette partialité en partie par la disponibilité des sources au début d’une affaire :

Les médias n’ont d’abord des informations que du parquet ou de la police. Ensuite, ils ont souvent une méfiance vis-à-vis de la parole de la défense, que ce soit les avocats ou les proches des mis en examen.

Dans l’affaire Adlène Hicheur, ses soutiens dénoncent aujourd’hui une fine orchestration médiatique, qui commence dès la garde à vue. Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur de l’époque, est en déplacement à Lyon alors qu’Adlène Hicheur y est interrogé après avoir été interpelé au domicile de ses parents à Vienne. Lors d’une conférence de presse improvisée, Brice Hortefeux affirme que “la France a peut-être évité le pire”.

“Éveiller les fantasmes”

Transparaît une allusion aux qualifications scientifiques d’Adlène Hicheur, physicien de très haut niveau en physique nucléaire. “Une façon d’éveiller les fantasmes qui n’a rien à voir avec la réalité” dénonce Patrick Baudouin, son avocat. Le dossier repose aujourd’hui sur 35 mails échangés avec un interlocuteur que la DCRI a identifié en la personne de Moustapha Debchi, décrit comme un cadre d’AQMI.

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L’arrestation de ce dernier a été rapportée dans la presse algérienne en février 2011. En septembre, le procès-verbal de son interrogatoire par les services de sécurité algériens est versé au dossier d’Adlène Hicheur, à l’issue d’une commission rogatoire internationale. Patrick Baudouin, avocat d’Adlène Hicheur, a fait part jeudi de grandes difficultés pour obtenir des informations sur Moustapha Debchi et pour que ce PV soit ajouté à l’instruction. Un PV dont la forme avait soulevé l’étonnement de la défense, comme nous l’avions découvert.

Aucune pièce d’identité ne venait confirmer l’identité de Moustapha Debchi. Ses réponses “surabondaient dans le sens de l’accusation” selon Patrick Baudouin pour qui l’instruction a été menée uniquement à charge. Pour preuve, il cite le choix du juge d’instruction, Christophe Teissier (alors peu expérimenté en matière d’antiterrorisme), et non Marc Trévidic, reconnu pour son indépendance selon l’avocat. Voire des “manipulations” avec des traductions approximatives de l’arabe et des tentatives de “subordination de témoins”.

Dans un échange daté du 1er juin 2009, Moustapha Debchi demande : “Cher frère, on ne va pas tourner autour du pot : est-ce que tu es disposé à travailler dans une unité activant en France ?”. La réponse d’Adlène Hicheur, telle qu’elle apparaît dans le dossier d’instruction est “Concernant ta proposition, la réponse est OUI bien sûr”. Son avocat conteste cette traduction de l’arabe, notamment l’utilisation des majuscules qui change selon lui le sens que l’on peut y donner.

Aucun des mails ne montre “le moindre début d’intention de mise en Å“uvre d’un projet précis d’acte terroriste” poursuit Patrick Baudouin. “Tout est virtuel. La question de la qualification est clairement posée”. Il conclut :

Dans cette affaire, une vérité est pré-établie et l’instruction veut la confirmer. C’est une présomption, une affirmation de culpabilité.

Les deux affaires mettent en lumière des dérives de l’antiterrorisme, fondé en France sur une justice d’exception. “Elle permet la violation des droits individuels de certains et attribue des droits surdimensionnés à d’autres” critique Jérémie Assous. D’un côté les mis en examen, de l’autre les services et les organes de justice. “Dans ce système, les acteurs s’auto-alimentent” poursuit-il.

En octobre 2010, après un renforcement du plan vigipirate, Brice Hortefeux citait le séparatisme basque, “l’ultragauche” et “l’islamisme radical” au titre des principales menaces. La conférence de presse jeudi matin réunissait “deux mamelles de l’antiterrorisme” relevait, grinçant, Benjamin Rosoux.

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