#Opendata 1/2: ||Les bons ingrédients pour une ouverture des données réussie

Le 31 mai 2010

Un rapport de l'Open Society Institute revient sur les politiques de libération des données mises en place par l'Angleterre et les Etats-Unis. Retour sur une histoire encore récente.

Un consortium d’ONG et de bailleurs de fonds internationaux a récemment commandé un rapport sur l’open data sous l’égide de la Transparency and Accountability Initiative.

L’étude finale, l’Open Data Study, rédigée par Becky Hogge, a été publiée en mai 2010 par l’Open Society Institute (institution fondée par George Soros). Elle explore les politiques d’ouverture des données publiques aux États-Unis et au Royaume-Uni, et cherche à en tirer des conséquences pour mener des initiatives similaires en dehors des démocraties occidentales.

A l’origine de cette démarche, il y a la conviction que l’ouverture des données publiques peut apporter d’importants atouts économiques et sociaux. Pour l’auteur du rapport, rendre disponible des données géographiques, budgétaires, sociales dans un format permettant leur réutilisation, permet d’améliorer les services et de créer de la croissance économique.

Data.gov & data.gov.uk : quelles leçons en tirer ?

Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont récemment adopté des démarches volontaristes sur l’opendata en lançant les deux portails www.data.gov et www.data.gov.uk.

L’exemple britannique : data.gov.uk

Data.gov.uk est un portail donnant accès à un ensemble de données collectées et entretenues par le gouvernement et les institutions publiques britanniques. Actuellement data.gov.uk héberge environ 3 200 bases de données et une cinquantaine d’applications dérivées.

Comment en est-on arrivé là ?

Premier geste fondateur en direction de l’opendata : en juin 2009, le Premier Ministre britannique Gordon Brown annonçait que Tim Berners Lee s’apprêtait à rejoindre son gouvernement comme conseiller.

Mais l’arrivée de celui présenté comme le principal inventeur du World Wide Web ne suffit pas à expliquer le mouvement d’ouverture des données au Royaume-Uni.  Depuis déjà plusieurs années, le gouvernement britannique subissait une pression de la société civile, en particulier d’un groupe de responsables de sites web politiquement engagés, pour délivrer ses données de façon ouverte, dans un format lisible par les machines.

Face à ces acteurs politiques et citoyens mobilisés pour l’ouverture des données, quelques agences gouvernementales ont opposé une forte résistance. En particulier, l’agence de cartographie, l’Ordonance Survey (l’équivalent de notre Cadastre), car une partie de son financement provenait justement de l’exploitation commerciales des données publiques géographiques.

Data.gov.uk a été officiellement lancé en janvier 2010. Le site a été perçu comme une victoire de la communauté pro-opendata. Le Royaume-Uni voit désormais fleurir les sites web et les applications basées sur les données libérées, en particulier sur les données cartographiques liées aux codes postaux, autour de la dernière élection générale de mai 2010.

L’exemple américain : data.gov

Data.gov est un portail du gouvernement américain donnant accès aux bases de données crées par le gouvernement fédéral américain et par ses agences.

Il a été lancé en 2009, avec deux objectifs.

Tout d’abord, la volonté d’impulser une communication bottom-up et de faire émerger de nouvelles idées de gouvernance, en renforçant la transparence des services publics, la participation des citoyens, et la collaboration entre l’Etat et ses administrés.

L’ouverture des données publiques a aussi été pensée comme un moyen d’améliorer l’efficience des agences gouvernementales.

La plupart des agences gouvernementales américaines numérisaient déjà les données dont elles disposaient. Data.gov a été conçu comme un outil pour les aider dans leurs missions de service public.

Comme au Royaume-Uni, l’influence de la communauté des civil hackers a joué un rôle important. Ces citoyens engagés ont réutilisé dans leurs sites web des bases de données publiées par le gouvernement pour les présenter de façon enrichie et plus accessible.

Peut-être en réponse à ces initiatives citoyennes, les CIOs (Chief Information Officers) de certains Etats américains –dont le district de Columbia- ont commencé à rendre publiques leurs bases de données. C’est d’ailleurs le directeur technique du district de Columbia, Vivek Kundra qui a été par la suite embauché par Obama au poste de CIO fédéral en mars 2009.

Ces premiers pas en faveur de l’opendata ont trouvé un écho important lorsque le Président Obama a pris ses fonctions à la Maison Blanche. Il a justement consacré un de ses premiers memorandums à l’ouverture et à la transparence.

Après une phase de recherche et développement, pendant le printemps 2009, data.gov a été lancé le 21 mai 2009.

Il contenait initialement 76 bases de données provenant de 11 agences publiques. Craignant que l’élan vers l’opendata ne retombe et que trop peu de données ne soient publiées, Obama a adopté un décret, le 8 décembre 2009, obligeant chaque agence gouvernementale à publier au moins 3 bases de données de qualité.

Aujourd’hui, la comparaison entre les deux plateformes – data.gov.uk et data.gov – ne joue pas en faveur des Etats-Unis : le portail britannique propose déjà trois fois plus de données, alors que son homologue américaine a six mois d’avance. Et data.gov.uk a fait le choix de formats standardisés favorisant le développement du web sémantique, à la différence de data.gov.

Je vous renvoie aux articles de Flowing Data et RWW pour de plus amples comparaison entre ces deux plateformes.

Les trois acteurs clés de l’ouverture des données

L’Open Data Study tire une leçon intéressante de ces observations : aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni la conduite de l’ouverture des données a nécessité l’intervention de trois catégories d’acteurs :

  • La société civile, et en particulier un petit groupe de « civil hackers » très motivés
  • Des fonctionnaires gouvernementaux de peu d’influence, mais compétents et engagés
  • Les hautes sphères du pouvoir, guidées soit par une pression extérieure (dans le cas du Royaume-Uni), soit par le climat réformateur d’une toute nouvelle administration (dans le cas des États-Unis)

En écho aux propos tenus par Tim Berners Lee dans l’entretien qu’il a accordé à l’auteur de cette étude :

It has to start at the top, it has to start in the middle and it has to start at the bottom.

1/Dans une logique bottom-up, la société civile a imposé des exemples de bonnes pratiques et à mis sous pression les gouvernements. Ainsi, data.gov.uk et data.gov n’auraient sans doute jamais été créées si des citoyens engagés n’avaient pas déjà développé des applications telles que TheyWorkForYou.com (au Royaume-Uni) ou GovTrack.us (aux États-Unis), des cartes des accidents de vélo, ou des sites répertoriant les dépenses publiques.

TheyWorkForYou et GovTrack.us ont tous les deux été lancés en 2004, par des groupes de bénévoles qui voulaient faciliter le suivi de l’activité politique des parlementaires. Tous deux s’appuient sur des données déjà publiées sur des sites officiels tels que le Hansard au Royaume-Uni ou celui de la Library of Congress aux Etats-Unis, pour les présenter dans un format plus accessible, avec un moteur de recherche, et un espace de débat.

Les auteurs de ces deux applications sont donc passés outre les copyrights protégeant les bases de données originales. GovTrack.us agit également comme une plateforme de données pour d’autres sites citoyens.

Les citoyens bénévoles à l’origine de TheyWorkForYou (régroupé sous le nom de mySociety, fondée par Tom Steinberg), et de GovTrack.us (regroupés sous le nom de Civic Impulse, fondée par Josh Tauberer) s’identifient eux-même come des « civic hackers », c’est à dire des personnes qui utilisent les outils des technologies numériques pour enrichir la vie citoyenne ou résoudre des problèmes civiques. Ils vivent leur activité comme un engagement démocratique.

En France, nous avons aussi nos « civic hackers », chez Regards Citoyens, les éditeurs de NosDéputés.fr (notre équivalent du TheyWorkForYou britannique) et chez la Quadrature du Net (“La loi, c’est du code, donc ça se hacke“).

2/ Les bonnes pratiques citoyennes n’auraient pas suffit si elles n’avaient pas trouvé un relais auprès des fonctionnaires des échelons intermédiaires du pouvoir. Ces acteurs avaient eux aussi un intérêt à l’ouverture des données publiques, dans laquelle ils voyaient une opportunité pour rendre leur travail plus efficient et mieux compris.

Au Royaume-Uni plus particulièrement, la société civile et la communauté des administrateurs publics se sont alliés autour des problèmes de licences posés par la ré-utilisation des données. Leur coopération leur a permis de construire solide base d’expérience et de buts communs. En 2007, le Cabinet Office (l’organe chargé de coordonner les stratégies entre les différents ministères) a commandé un rapport sur l’ouverture des données publiques à Tom Steinberg, le fondateurs de TheyWorkForYou, et à Ed Mayo, le directeur du National Consumer Council (l’organe chargé de représenter les intérêts des consommateurs). L’étude finale, la Power of Information Review, met en avant les opportunités tant démocratiques qu’économiques de l’opendata.

La retombée la plus marquante du travail réalisé par Steinberg et Mayo sur la Power of Information Review a sans doute été le lancement du concours Show Us a Better Way. Un prix de 20 000£ a été mis en jeu pour le meilleur projet de réutilisation des informations du secteur public. Le concours a attiré environ 500 contributions, et a été gagné conjointement par 14 projets, dont le site WhereDoesMyMoneyGo qui rend compte de comment sont utilisés les impôts collectés par les pouvoirs publics.

L’émulation citoyenne autour de ce concours a constitué un argument formidable pour convaincre les agences gouvernementales de libérer leurs données, en particulier l’Ordonnance Survey de renoncer à monétiser ses données géo-spatiales (sujet déjà traité sur mon blog ici).

3/ L’expertise de ces fonctionnaires et administrateurs publics, a donné confiance aux leaders politiques dans la réussite de stratégies d’ouvertures des donnés publiques. Les dirigeants ont ainsi eu les moyens et la motivation pour passer outre l’inertie institutionnelle.

Le rôle des hautes sphères du pouvoir a surtout consisté à donner une dimension politique et démocratique à des problématiques jusque là perçue comme très technologiques.

L’existence de données : la base du succès

A côté de ce schéma à trois poles d’influence –société civile / administration publique / leaders politiques – l’Open Data Study relève un dernier facteur de réussite des stratégies d’opendata aux Etats-Unis et au Royaume-Uni : l’existence de données publiques nombreuses et fiables. Il y a dans ces pays une longue tradition de collecte de données publique, menée par des agences des fonctionnaires très compétents, disposant d’une relative autonomie et de ressources.

La France partage se solide socle de donnée avec les pays anglosaxons grâce à l’Insee. Le blog de Captain Dash consacre un très bon post à ce sujet, je vous conseille donc de lire “Insee… doesn’t ring a bell? That’s France at its top

Dernière remarque soulevée par l’Open Data Study : l’absence des utilisateurs finaux dans le processus de mise en place de l’ouverture de données. Bien sûr, l’audience des applications telles que TheyWorkForYou ou GovTrack.us ont joué un rôle, mais le plus souvent la notion d’utilité publique à pris le dessus sur la prise en compte des utilisateurs.

Lire la suite de cet article: “L’internationale de l’Opendata?”

Illustrations CC Flickr par Eric Fischer et daveypea

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